Page:Mirabeau - Le Rideau levé ou l'éducation de Laure, 1882.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LE RIDEAU LEVÉ


mais le rideau, qui était de son côté développé dans toute son étendue, ne me laissa rien apercevoir, et ma curiosité ne fit que s’en accroître.

Le surlendemain de ce jour, on lui remit une lettre qui parut lui faire plaisir. Quand il en eut fait lecture :

— Ma chère Laure, vous ne pouvez rester sans gouvernante ; on m’en envoie une qui arrivera demain : on m’en fait beaucoup d’éloges, mais il est nécessaire de la connaître pour juger s’ils ne sont point outrés.

Je ne m’attendais nullement à cette nouvelle ; je t’avoue, chère Eugénie, qu’elle m’attrista : sa présence me gênait déjà, sans savoir pourquoi, et sa personne me déplaisait, même avant de l’avoir vue.

En effet, Lucette arriva le jour qu’elle était annoncée. C’était une grande fille très bien faite, entre dix-neuf et vingt ans : belle gorge, fort blanche, d’une figure revenante, sans être jolie ; elle n’avait de régulier qu’une bouche très bien dessinée, des lèvres vermeilles, les dents petites, d’un bel émail et parfaitement rangées. J’en fus frappée d’abord. Mon père m’avait appris à connaître une belle bouche, en me félicitant cent fois sur cet avantage. Lucette unissait à cela un excellent caractère, beaucoup de douceur, de bonté, et une humeur charmante. Mon amitié, malgré ma petite prévention, se porta