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ment pourrons-nous respirer dans un autre air moins pur, nous, accoutumés à des fruits immortels ? »

L’ange interrompit doucement :

« Ève, ne te lamente point, mais résigne patiemment ce que tu as justement perdu : ne mets pas ton cœur ainsi trop passionné dans ce qui n’est pas à toi. Tu ne t’en vas point solitaire ; avec toi s’en va ton mari. Tu es obligée de le suivre : songe que là où il habite, là est ton pays natal. »

Adam, revenant alors de son saisissement subit et glacé, rappela ses esprits confus, et adressa à Michel ces humbles paroles :

« Être céleste, soit que tu sièges parmi les Trônes ou qu’on te nomme le plus grand d’entre eux, car une telle forme peut paraître celle d’un prince au-dessus des princes, tu as redit doucement ton message, par lequel autrement tu aurais pu en l’annonçant nous blesser et en l’accomplissant nous tuer. Ce qu’en outre de chagrin, d’abattement, de désespoir, notre faiblesse peut soutenir, tes nouvelles l’apportent, le partir de cet heureux séjour, notre tranquille retraite, seule consolation laissée familière à nos yeux ! Toutes les autres demeures nous paraissent inhospitalières et désolées, inconnus d’elles, de nous inconnues.

« Si par l’incessante prière je pouvais espérer changer la volonté de celui qui peut toutes choses, je ne cesserais de le fatiguer de mes cris assidus : mais contre son décret absolu la prière n’a pas plus de force que notre haleine contre le vent, refoulée suffocante en arrière sur celui qui l’exhale au dehors.

« Je me soumets donc à son grand commandement. Ce qui m’afflige le plus, c’est qu’en m’éloignant d’ici je serai caché de sa face, privé de sa protection sacrée. Ici j’aurais pu fréquenter en adoration, de place en place, les lieux où la divine présence daigna se montrer ; j’aurais dit à mes fils :

« Sur cette montagne il m’apparut ; sous cet arbre il se rendit visible ; parmi ces pins j’entendis sa voix ; ici au bord de cette fontaine, je m’entretins avec lui. »