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ou tromper son esprit, qui sait tout ? Sage et juste en toutes choses, l’Éternel n’empêcha point Satan de tenter l’esprit de l’homme armé d’une force entière et d’une volonté libre, parfaites pour découvrir et repousser les ruses d’un ennemi ou d’un faux ami. Car Adam et Ève connaissaient et devaient toujours se rappeler l’importante injonction de ne jamais toucher au fruit, qui que ce fût qui les tentât. N’obéissant pas, ils encoururent la peine : que pouvaient-ils attendre de moins ? La complication de leur péché méritait leur chute.

Les gardes angéliques du paradis se hâtèrent de monter au ciel, mornes et abattus en songeant à l’homme, car par ceci ils connaissaient son état ; ils s’étonnaient beaucoup que le subtil ennemi sans être vu, leur eût dérobé son entrée.

Sitôt que ces fâcheuses nouvelles arrivèrent de la terre à la porte du ciel, tous ceux qui les entendirent furent affligés, une sombre tristesse n’épargna pas dans ce moment les visages divins ; cependant mêlée de pitié, elle ne voila pas leur béatitude. Autour des nouveaux arrivés, le peuple éthéré accourut en foule, pour écouter et apprendre comment tout était advenu. Ils se hâtèrent vers le trône suprême, responsables qu’ils étaient, afin d’exposer dans un juste plaidoyer extrême vigilance, aisément approuvée. Quand le Très-Haut, l’éternel Père, du fond de son secret nuage fit sortir ainsi sa voix dans le tonnerre :

« Anges assemblés, et vous puissances revenues d’une commission infructueuse, ne soyez ni découragés, ni troublés de ces nouvelles de la terre que vos soins les plus sincères ne pouvaient prévenir ? J’avais prédit dernièrement ce qui arriverait, lorsque pour la première fois le tentateur sorti de l’enfer, traversait l’abîme. Je vous ai annoncé qu’il prévaudrait, prompt dans son mauvais message ; que l’homme serait séduit, perdu par la flatterie, et croyant le mensonge contre son Créateur. Aucun de mes décrets concourant n’a nécessité sa chute, ou touché du plus léger mouvement d’impulsion sa volonté libre laissée à sa propre inclination dans un juste équilibre. Mais l’homme est tombé, et maintenant que reste-t-il à