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ANTHOLOGIE DES HUMORISTES

LE 101e RÉGIMENT

Avez-vous remarqué un homme au nez rouge, au ruban comme son nez, boutonné jusqu’au cou, à la démarche roide, à l’œil vif, à la moustache en brosse ? Il suit le régiment. Nous l’avons retrouvé à la porte de la pension des officiers, nous l’avons vu dans la cour de la caserne, nous le retrouvons à la porte du quartier. Cet homme, c’est le dernier grognard.

Je vous ai dit que l’espèce se perdait ; il ne faut pas la regretter. Voici l’unique échantillon de l’officier grognard et mal élevé. Retraité depuis trois ans, il ne peut se passer du régiment dont il ne fait plus partie ; il est là à titre d’ornement. On le tolère, mais on ne l’aime pas, il ennuie ; sa seule excuse est d’avoir été brave.

L’origine des grognards se perd dans la nuit des temps.

Vous souvient-il du colonel Jephté, obligé de tuer sa fille parce que, dans la joie de la victoire, il avait juré sur sa croix d’honneur de démolir la première personne qui se présenterait devant lui ?

L’histoire romaine fourmille de grognards, l’histoire grecque en est pétrie.

L’histoire de France en a plus que sa part.

Le premier qu’on y rencontre est un sargent qui ne veut pas donner à Clovis le vase de Soissons, qu’il désire garder pour faire cuire des haricots.

On sait comment le monarque récompensa ce désintéressement.

Le dernier, c’est le capitaine Morel.

Lorsqu’il était au corps, les soldats disaient :