Page:Mill - L'Utilitarisme.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
l’utilitarisme

d’un agent intelligent de n’avoir pas conscience que l’acte appartient à la classe des actes qui, s’ils étaient pratiqués généralement, seraient généralement nuisibles, et que là est la raison de l’obligation d’abstention. L’intérêt porté au bien public, requis par l’utilitarisme, n’est pas plus grand que dans un autre système de morale ; tous recommandent de s’abstenir de ce qui est manifestement pernicieux pour la société.

Un autre reproche contre l’utilitarisme est fondé sur l’idée fausse qu’on se fait de la conséquence des mots juste et injuste. On affirme souvent que l’utilitarisme rend les hommes froids et peu compatissants, qu’il annule leurs sentiments sympathiques, et les fait juger les actions d’après des considérations sèches et dures sur leurs conséquences, sans tenir compte des qualités de la personne qui a accompli ces actions. Si l’on entend par là que les utilitaires ne se laissent pas influencer, dans leurs jugements sur la valeur d’une action, par les qualités de l’agent, ce n’est pas seulement l’utilitarisme qu’on accuse, mais bien tous les systèmes de morale. Jamais aucune morale n’a décidé qu’une action serait bonne ou mauvaise parce que celui qui l’accomplissait est bon ou mau-