Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

corps sur le siège de la voiture ; puis il reportait ses regards vers elle, avec une expression dure, où l’on eût pu distinguer quelque chose d’équivoque et d’ironique[1]. La reine était une femme, elle sentit sur-le-champ ce qu’aucun homme n’eût compris ; d’un coup d’œil hardi et fin, elle mesura d’abord l’immense parti qu’elle pouvait tirer de cette disposition, malveillante en apparence.

Elle comprit sans difficulté que Barnave croyait voir parmi les gardes du corps l’homme dévoué à qui la reine avait accordé la faveur de diriger l’enlèvement, la faveur de mourir pour elle, l’heureux comte de Fersen. Disons net : elle distingua que Barnave était jaloux.

Pour ne point trouver ceci absurde, il faut savoir que Barnave, dans sa vanité, voulait être absolument le successeur de Mirabeau ; il croyait à la tribune avoir sa succession, mais il la voulait complète : la reine en était, selon lui ; la confiance de la reine lui semblait, dans cet héritage, le plus beau diamant du défunt. Il avait cru un moment atteindre cette haute fortune, lorsque la cour fit semblant de demander les conseils des trois amis. Deux des trois, Lameth et Duport, étaient notoirement désagréables, le confident nécessaire était Barnave ; du moins, il l’avait cru ainsi. Donc il était singulièrement mortifié, comme homme politique et comme homme, de cet enlèvement de Varennes ; il lui semblait qu’on

  1. Les détails qui suivent paraîtront romanesques, et n’en sont pas moins très vraisemblables. Ils sont pris dans Weber, Valory, Campan, etc.