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sans contradiction. Brillante, spirituelle et rieuse, de l’assassinat de Pierre III aux massacres immenses d’Ismaïl et de Praga, qu’elle ordonna elle-même[1], elle allait riant de Dieu. La terrible Pasiphaé (dirai-je Pasiphaé ou le Minotaure ?), qui eut une armée pour amant, allait s’assouvissant sur tout peuple et sur tout homme. Il n’est besoin de rien dire, quand on a vu les portraits de cette vieille, sa grecque de cheveux blancs dressée vers le ciel, le sein nu, l’œil lubrique et dur, fixe vers la proie, l’insatiable abîme qui ne dit jamais : « Assez. »

Elle se sentit, au 14 juillet 1789, frappée à la face ; l’éloignement n’y fit rien, ni la séparation des intérêts. Elle sentit sa barrière au bout de l’Occident, et que la tyrannie mourrait en ce monde, et que la liberté était son héritière. Elle commença de souffrir. Elle tenait la Turquie, et elle allait dévorer la Pologne. Elle poussait les Allemands à l’Ouest ; elle avait l’air de leur dire : « Allez, je vous le permets ; je vous ai donné la France. » Les forts ne rougissent point ; elle osa, dans une lettre effrontée, faire honte à Léopold de son inaction, de son mauvais cœur, lui demandant comment il pouvait délaisser sa sœur Marie-Antoinette. Pour un léger déplaisir fait à la sœur du roi de Prusse, ce prince chevaleresque avait envahi la Hollande ; n’était-ce pas un exemple qui dût faire rougir l’Empereur ?

Elle renvoya, sans l’ouvrir, la lettre par laquelle

  1. C’est l’excuse que donnent les biographes de Souwarow : « Il suivit les ordres exprès de sa cour. »