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haute imprudence. Plus on attendait, plus il était à craindre que le moment ne passât, moment sacré, irréparable, où la guerre n’eût pas été une guerre. Le monde alors, nous le savons maintenant par l’aveu de nos ennemis, le monde appelait la France. Pourquoi ? Elle était pure encore. Quelques violences partielles avaient eu lieu. Mais l’Europe les regardait comme des crimes individuels, des excès locaux, tels que tout grand changement en entraîne toujours. Jusqu’aux massacres de septembre 1792, on n’intentait à la France nulle accusation nationale. Jamais révolution, on l’avouait, n’avait moins coûté de sang.

La France, en 1791, apparaissait jeune et pure, comme la vierge de la liberté. Le monde était amoureux d’elle. Du Rhin, des Pays-Bas, des Alpes, des voix l’invoquaient, suppliantes. Elle n’avait qu’à mettre un pied hors des frontières, elle était reçue à genoux. Elle ne venait pas comme une nation, elle venait comme la Justice, comme la raison éternelle, ne demandant rien aux hommes que de réaliser leurs meilleures pensées, que de faire triompher leur droit.

Jour sacré de notre innocence, qui ne vous regrettera ! La France n’était pas encore entrée dans la violence, ni l’Europe dans la haine et l’envie. Tout cela va changer dès la fin de 1792, et les peuples alors tourneront contre nous, avec les rois. Mais alors, en 1791, sous l’apparence d’une guerre imminente, il y avait au fond, dans la grande âme européenne, une attristante concorde. Souvenir doux et