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En général, le paysan, craintif et rusé, ne voulait point acheter directement de la commune. Il allait, avec un voisin ou plusieurs, trouver quelque procureur de l’endroit, un homme d’affaires, parfois ex-intendant ou régisseur : « Eh bien, Monsieur un tel, pourquoi n’achetez-vous pas ? Achetez donc ! Nous voilà tous, qui sommes prêts à racheter de vous quelques morceaux de terre. »

Ce qui, traduit librement, selon l’idée réelle du paysan, signifiait : « Achetez. Si les émigrés reviennent, vous serez pendu. Mais l’on ne pourra pas pendre la foule des sous-acquéreurs. Et ce sera un grand hasard si l’on peut reprendre à des bandes si nombreuses un bien disséminé en parcelles imperceptibles. »

L’ex-intendant ou régisseur ne répondait rien, il hochait la tête. Généralement il achetait, sans se trop hâter de revendre ; il voulait voir venir les choses. Si la Révolution triomphait, il gardait ou vendait, détaillait et faisait fortune, et si c’était la contre-révolution qui prévalût, il avait son excuse prête : « J’ai acheté le bien pour le sauver, pour le conserver à son maître légitime. »

Mais les hommes plus hardis, plus indépendants, et c’était le plus grand nombre, les hommes lancés sans retour dans la Révolution, n’hésitaient pas à jouer tout sur ce coup de dé. Une seule chose les arrêtait, c’est que, malgré toutes les facilités que donnait aux acquéreurs l’Assemblée nationale, le terme des premiers payements était rapproché ; ils