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dans la Révolution qu’un moyen de s’agrandir. » — La droite riait aux larmes.

« Non, dit-il, je ne le crois pas. Je ne veux regarder tel écrit, tel discours qui présenterait ce sens, que comme l’explosion passagère du dépit, déjà expié par le repentir… » Et alors élevant la voix : « Je demande que chacun de nous jure que jamais il ne composera, sur aucun article, avec le pouvoir exécutif, sous peine d’être déclaré traître à la patrie. »

Duport, Barnave et Lameth restèrent cloués à leur banc sous cette parole de plomb. Elle tombait, assénée d’une lourdeur extraordinaire, avec la clameur d’en haut, les cris des tribunes, avec les dérisions infernales des royalistes, comme la joie des damnés, se disant les uns aux autres : « Mort à nous ! mais mort à vous !… » Et le plus tragique encore, c’était l’assentiment tacite de presque toute l’Assemblée, qui, par une malveillance naturelle à qui va périr, s’amusait à voir ses chefs périr d’abord, étouffer, sans pouvoir pousser un cri.

C’est ainsi qu’eux-mêmes, six mois auparavant, ils avaient tué Mirabeau. Aujourd’hui, c’était leur tour.

Mirabeau n’eut pas cette fin désespérée et muette. Ceux-ci, il faut le dire, expiraient sous une bien autre pression. Ils auraient trouvé une voix, ces vaincus, si Robespierre seul, si l’Assemblée seule, avec les tribunes, eût pesé sur eux… En réalité, ce qui les écrasait, leur ôtait la voix et l’haleine, la respiration, la vie, c’était une puissance extérieure qu’on ne voyait pas, puissance énorme, inéluctable ; c’était