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les acceptèrent également. Les esprits les plus différents, Béranger et Ledru-Rollin, leur firent le même accueil. L’ouvrage terminé reçut le plus fort témoignage du grand socialiste qui, pour plusieurs raisons, semblait devoir le goûter peu. Les lettres que j’eus, à ce sujet, de Béranger et de Proudhon, sont assez importantes pour être conservées. Quoique si honorables pour moi, je dois les publier. Proudhon surtout y apparaît sous un jour tout nouveau, et tel, je crois, qu’il restera dans l’avenir.

LETTRE DE BÉRANGER.
Cher et illustre maître et ami,

Je ne puis garder plus longtemps par devers moi le tribut d’éloges que j’ai à vous payer ; d’éloges, c’est trop peu dire, c’est de reconnaissance pour tout le bonheur que votre nouveau volume m’a fait éprouver. Vous seul, vous seul pouviez tracer le tableau des commencements de notre sainte Révolution ; vous seul pouviez saisir l’instinct populaire dans son plus beau moment, dans ce moment d’amour qui n’eut jamais rien d’égal dans le monde. Que votre cœur vous a bien inspiré de peindre un pareil élan, et qu’il est heureux que cette pensée soit venue au seul talent capable de la mettre à exécution ! Dites-vous bien, cher maître, que, sans vous, ce qu’il y a de plus caractéristique et de plus touchant dans cette époque créatrice restait à jamais effacé des annales du monde. Trois fois gloire à vous qui, par l’étude, la conscience et le génie, conservez un pareil souvenir à nos neveux ! Ce moment, je l’ai vu, mais j’en avais moins mémoire que des jours qui l’ont suivi. Aussi ai-je versé des larmes sur vos pages immortelles.

J’adopte ce que vous dites de l’instinct populaire, et, de cela, il n’y a point à s’étonner de la part de l’homme qui a dit que le peuple était sa muse. Pour cet homme-là, votre histoire devient livre saint.