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la fois et la passion. Réservée jusque-là dans son désert pour les grands événements, elle arrivait avec une jeunesse d’esprit, une fraîcheur d’idées, de sentiments, d’impressions, à rajeunir les politiques les plus fatigués. Eux, ils étaient déjà las ; elle, elle naissait de ce jour.

Autre force mystérieuse. Cette personne très pure, admirablement gardée par le sort, arrivait pourtant le jour où la femme est bien redoutable, le jour où le devoir ne suffira plus, le jour où le cœur, longtemps contenu, s’épandra. Elle arrivait invincible, avec une force d’impulsion inconnue. Nul scrupule ne la retardait ; le bonheur voulait que, le sentiment personnel s’étant vaincu ou éludé, l’âme se tournait tout entière vers un noble but, grand, vertueux, glorieux, et, n’y sentant que l’honneur, se lançait à pleines voiles sur ce nouvel océan de la Révolution et de la patrie.

Voilà pourquoi en ce moment elle était irrésistible. Tel fut à peu près Rousseau, lorsque, après sa passion malheureuse pour Mme d’Houdetot, retombé sur lui-même et rentré en lui, il y retrouva un foyer immense, cette inextinguible flamme où s’embrasa tout le siècle ; le nôtre, à cent ans de distance, en sent encore la chaleur.

Rien de plus sévère que le premier coup d’œil de Madame Roland sur Paris. L’Assemblée lui fait horreur, ses amis lui font pitié. Assise dans les tribunes de l’Assemblée ou des Jacobins, elle perce d’un œil pénétrant tous les caractères ; elle voit à nu les faus-