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COMME JADIS…

que du vent glissant à travers les aiguilles vertes de l’arbre. Les jours de pluie, je me réfugiais sous le « tee-pee », dressé au milieu de la cour, qui était le dernier rappel de l’enfance nomade de Nanine. Je restais étendue sur l’herbe, qui croissait longue et blanche, les narines dilatées à respirer l’odeur fauve des peaux de caribou, tendues sous moi, me remémorant les histoires de chasses et de famine si souvent contées par la métisse.

Mes premières années, je les ai vécues sans me douter que le monde existait. J’étais une petite chose qui évolue, se renouvelle avec les saisons, se transforme avec les années, se modifie comme la masse de l’épinettière qui se laisse bercer par le vent, sans qu’il y ait de sa part réflexion et consentement… Je me revois, habillée d’étrange façon par notre métisse, petit « papoose » cuivré par l’air vif et le soleil brûlant, joyeux de contempler son image à la surface du lac, parmi le frémissement des branches vertes, ou chevauchant sans selle sur le petit cayuse café au lait, « Maringoin », au trot court et rapide, infatigable. Les bonnes galopades ! … Mon domaine était immense, sans limites. Je suivais les anciens « trails » de bœufs musqués que les passées innombrables ont incrustés dans le sol mou de la Prairie. Respirer la brise forte, activée par la vitesse, m’enivrait de liberté. J’éprouvais la confuse conscience de vivre de toute la plénitude de mes jeunes forces, germées et éclo-