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CORRESPONDANCE


Sa Sainteté est disposée à exécuter nos précédents accords pour que je retourne et qu’elle n’ait plus à douter de mon concours.

Pour ce qui est de mon départ, il est vrai que j’avais entendu dire que, le Samedi Saint, le pape, parlant à table avec un joaillier et le maître des cérémonies, aurait affirmé ne vouloir plus dépenser un sou pour pierre ni petite ni grosse. Ce propos m’étonna fort. Cependant, avant de me décider à la retraite, je demandai un peu de ce dont j’avais besoin pour continuer l’ouvrage. Sa Sainteté me répondit : « Reviens lundi. » Je revins le lundi, et le mardi, et le mercredi, et le jeudi suivants, comme il put le savoir. À la fin, le vendredi matin, je fus congédié, je veux dire chassé. Et même celui qui me renvoya dit qu’il me connaissait bien, mais que tel était son mandat. C’est pourquoi, ayant entendu répéter ces paroles le samedi et en voyant l’effet, je tombai dans un grand désespoir. Mais ce ne fut pas la seule et unique raison de mon départ. Cette autre raison, je ne veux pas l’écrire : il m’avait suffi de savoir que, si je restais à Rome, le premier tombeau à faire eût été, non celui du pape, mais le mien ; et ce fut là le vrai motif de mon départ subit.

À présent, vous m’écrivez de la part du pape. Je vous prie donc de lire au pape ma réponse. Il faut que Sa Sainteté entende bien que je suis, plus que jamais, disposé à continuer l’œuvre. Si le pape veut que je fasse ce tombeau, qu’il ne s’inquiète pas du lieu où j’y travaillerai ; il suffit que nous soyons d’accord sur ce point que, dans cinq ans, ce tombeau sera muré dans Saint-Pierre à la place qui aura plu, et que ce sera une belle chose, comme je l’ai promis. Si cette œuvre se fait, je suis certain qu’il n’y en aura pas une semblable dans le monde entier.

Et maintenant, si Sa Sainteté veut donner suite à l’affaire, qu’elle en dépose les fonds ici, à Florence, à l’adresse que je donnerai. J’ai beaucoup de marbres commandés à Carrare ; je les ferai venir ici, et aussi ceux que j’ai encore à Rome. Encore qu’à mon détriment, je n’aurai d’autre souci que de faire cette œuvre. J’en enverrai les parties faites, l’une après l’autre, en sorte que Sa Sainteté prendra plaisir à les voir, comme si je travaillais à Rome même, et mieux parce qu’Elle verra les morceaux tout faits, sans avoir l’ennui de les voir faire. Pour ce qui est des fonds et de l’ouvrage, je m’obligerai au gré de Sa Sainteté et je lui donnerai ici, à Florence, toutes les garanties qu’Elle demandera… (effacé). Il suffit que Florence entière ; mais assez. Je veux aussi ajouter qu’il n’est pas possible de faire un tel monument et pour un tel prix, à Rome ; tandis qu’ici je profiterai de bien des commodités que je n’aurais pas là-bas ; et je travaillerai, en outre, d’un esprit plus tranquille et de meilleur cœur, parce que je n’aurai pas à penser à tant de choses.

C’est pourquoi, mon très cher Julien, je vous prie de me faire réponse et bientôt. C’est tout.

(Arch. Buonarroti.)0000


    vaux de Saint-Pierre de Rome (1445-1516). Ne pas confondre avec son neveu Antoine, architecte du palais Farnèse à Rome (1455-1546).