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INTRODUCTION

Michel-Ange, qui n’eut jamais ni femme ni enfants et qui répondit, un jour, à Condivi, que l’Art (de genre féminin en langue italienne) suffisait à ses convoitises humaines, eut pourtant un neveu. C’était le seul que lui avait laissé le préféré de ses quatre frères. Il en fit son héritier naturel, non sans le déshériter trois fois avant de lui accorder finalement toute sa fortune, pour reconnaître les savoureux envois de marzolini, de berlingozzi et même de chemises paysannes qu’il en avait reçus, et surtout pour maintenir l’honneur de la race dont ce fils de son bon frère Buonarroto aurait à perpétuer le nom intact. Leonardo, qui était né le 25 septembre 1519 et qui, en 1563, recueillit la succession de son oncle avec la dépouille mortelle qu’il transporta frauduleusement de Rome à Florence, comme caisse de marchandise sur une charrette de roulier, se contenta de faire à celle-ci le monument funèbre qui convenait dans l’église de Santa-Croce et vint y prendre aussi paisiblement sa place, le 18 novembre 1599. D’humeur paisible, ayant tout au plus une fois accepté de siéger au Conseil des Deux-Cents où Cosme Ier l’avait introduit, le 14 juillet 1564, pour honorer le grand nom que ce descendant de Michel-Ange portait, cet ami du silence se retira ainsi du monde en octogénaire heureux de s’y être fait oublier, par égard pour celui dont les siècles auraient assez de conserver l’impérissable mémoire.

C’est à l’aîné des huit fils que Leonardo laissait, qu’allait échoir la tâche de commencer à assembler, dans la Casa Buonarroti, le legs michel-angelesque et plutôt littéraire qu’artistique dont seraient constituées, après trois siècles de patientes recherches, les Archives plus précieuses que le Musée où nous sommes conviés aujourd’hui. Né, le 4 novembre 1 568, à une époque où la politique des partis confondus n’était plus d’aucun intérêt à Florence, il aima les Lettres plus que les Arts et écrivit, pour son plaisir, des sujets qui honorèrent son esprit. Son premier essai fut une Description des noces de S. M. très chrétienne Mme Marie de Médicis, reine de France et de Navarre ; et l’on croirait que cette plume facile se fût vouée à l’éloge des vivants, si elle n’eût eu aussi à décrire la pompe des funérailles qui se célébrèrent, en 1643, en l’honneur de la même souveraine défunte, dans l’église de San-Lorenzo. Plus gai de naturel que ne le laissaient croire ces académiques et funèbres débuts, ce Michelangelo s’adonna de préférence à l’art dramatique, et la Tancia et la Fiera ne furent pas les moindres pièces de son volumineux répertoire. Il est vrai que, pour en avoir tant composé, il n’en fit imprimer que le plus petit nombre, les autres libretti restant en manuscrits dans les Archives de Michel-Ange, qu’un écrivain dramatique allait nous révéler écrivain épistolaire et poète. Les lettres italiennes et le monde de la pensée doivent à ce petit-neveu du grand maître en tous les arts à la fois, la première édition des Poésies de Michel-Ange, imprimées à Florence par Giunti, en 1623, d’après le texte autographe conservé à la Bibliothèque du Vatican. Il est bien certain que cet imprimeur orthodoxe consulta le théologal de Santa-Croce et que, sous les inconvenants ciseaux de ce nain ânonnant, le géant des Rime, qui n’eut ses égaux qu’en Dante et qu’en Pétrarque, dut subir l’infâme cruauté d’un autre Procuste. Mais Dieu, qui, dans sa sagesse insondable, crée de la même argile les géants et les nains, devait aussi permettre que les poèmes de Michel-Ange fussent restitués, plus tard, dans toutes leurs pensées profondes comme autant d’abîmes