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INTRODUCTION

à chaque pièce, à chaque meuble, à chaque rien, un peu de leurs grandes âmes qui y habitent encore, vous cherchez ici celle de Michel-Ange, et vous n’y rencontrez, d’abord, que celle de ses obséquieux descendants. D’une chambre à l’autre, que d’insupportablement faibles peintures de mauvais maitres des seizième et dix-septième siècles ont encombrées jusqu’aux plafonds, en scènes puériles d’une prétendue Vie de Michel-Ange, vous cherchez le maître et ne le trouvez pas encore. À part quelques bas-reliefs sommaires de la première jeunesse et quelques souvenirs gracieux d’un Della Robbia qu’il préféra entre tous ses premiers maitres, et quelques ex-voto d’un Pordenone et d’un Marcello Venusti essayant d’interpréter Michel-Ange en élèves timides, ici encore rien de lui, ou si peu qu’on se demande, devant ces quelques cires perdues et retrouvées, si l’aveugle destin, qui dispersa aux quatre vents une œuvre si grandiose, n’a pas voulu donner le plus frappant exemple de la Fatalité antique dans la maison même de Michel-Ange si désagréablement pleine de tout ce qui n’est pas l’œuvre de ce maître même des Antiques surpassés.

Il faut être juste pour la mémoire des descendants de Michel-Ange, qui furent pleins des meilleures intentions dans ces chambres si mal accommodées par eux. À défaut des sculptures et des peintures du grand ancêtre, ils firent appel à celles des artistes inférieurs de leur temps. Mais ce décor baroque, on leur en fera grâce au bénéfice d’autres trésors incomparables qu’ils ont su assembler et cacher, au cours de trois siècles d’intelligentes et heureuses recherches, dans les armoires closes des archives Buonarroti où nous pénétrons enfin et où, d’un dessin à un manuscrit, Michel-Ange lui-même va nous raconter son œuvre intense de près d’un siècle et sa correspondance infatigable avec les hommes les plus considérables de son temps. Il les faudrait tous nommer pour épuiser la liste des papes et des empereurs, des reines et des marquises, des écrivains et des artistes, dont les lettres sont là avec les réponses qu’y fit Michel-Ange, cet autre pape des arts et cet autre empereur des belles-lettres. C’est François Ier offrant, pour la moindre sculpture du maître, l’hospitalité de Fontainebleau à l’artiste, qui lui répond que la vie est trop courte et les chemins trop longs pour arriver jusqu’au roi de France. C’est Catherine de Médicis, veuve de Henri II, se recommandant de la mémoire de ses pères en qui Michel-Ange trouva ses premiers protecteurs, pour lui demander d’exécuter un tombeau cher à sa douleur d’épouse, dont Germain Pilon n’aura la commande qu’après que le maître florentin l’aura refusée : « Je suis trop vieux, répond-il. Mais si Dieu, qui me rappelle à lui, permet aux sculpteurs de travailler encore en l’autre monde, le mausolée que mon âme fidèle doit à votre douleur sera plus beau que celui qu’ouvrageraient matériellement mes mains sur cette terre périssable. » C’est Jules II lui écrivant et lui parlant comme à un frère de même intraitable caractère : « Tu n’es pas venu jusqu’à nous, et c’est nous qui allons jusqu’à toi. » C’est l’Arétin osant, d’un style qui se croyait tout permis pour l’élégance qu’en admiraient les rois, indiquer à Michel-Ange le sujet qu’il devait peindre dans le Jugement Dernier et qui, ensuite relevé de main d’un autre maître pour ce péché d’outrecuidance, accusera l’œuvre, achevée sans son secours, d’une impudeur dont ce maître de la lascivité oubliait seulement qu’il en avait épuisé jusqu’aux plus dégradantes images.