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MICHEL-ANGE.

Quand il lit Albert Durer [1], l’enseignement lui en paraît débile ; car Michel-Ange voit, à sa manière, combien ses propres conceptions favorisent plutôt le beau et l’utile, en anatomie. À dire vrai, Albert ne traite que des mesures et des variétés des corps, et l’on n’en peut donner une règle certaine en formant les figures raides, comme des pals. Quant aux gestes et aux actes humains qui importeraient davantage, il n’en dit pas un mot. Mais désormais sentant le poids des ans, Michel-Ange ne pense pas pouvoir laisser au monde par écrit cette fantaisie de son esprit dont il m’a fait part minutieusement et avec grand amour. Il avait commencé aussi d’en conférer avec messer Realdo Colombo, anatomiste et chirurgien excellent, notre grand ami à tous deux, et qui, à cet effet, avait envoyé le cadavre d’un très beau jeune homme, tout à fait propre à l’affaire, si l’on peut ainsi dire. Il fut déposé à Sant’Agata où j’habitais alors, comme aujourd’hui, en une partie reculée de la ville. Sur ce corps, Michel-Ange me fit observer maintes choses rares et cachées qu’on n’avait peut-être jamais plus remarquées. Je les ai notées, et j’espère qu’un jour, aidé par un homme de science, je les ferai connaître, pour la commodité et l’utilité de tous ceux qui s’occupent de peinture ou de sculpture. Mais assez, sur ce sujet.

LXI. — Michel-Ange s’adonna à la perspective et à l’architecture, et ces ouvrages prouvent le parti qu’il en tira. Il ne s’est pas contenté seulement de la connaissance des principes de l’architecture, mais il a voulu savoir tout ce qui relève, de près ou de loin, de cette science, comme tracer des plans, des ponts, des échafaudages et autres choses semblables ; et il y excella autant que ceux qui ne professent que cette science. Il en fit preuve, au temps de Jules II, de la manière suivante. Comme Michel-Ange avait à peindre la voûte de la chapelle de Sixte, le pape ordonna à Bramante d’en faire l’échafaudage. Celui-ci, pour si architecte qu’il fût, ne sachant comment s’y prendre, perça la voûte en plusieurs points et fit descendre par là certains madriers pour étayer le pont. En les voyant, Michel-Ange rit beaucoup et demanda à Bramante comment il pourrait faire, quand il en viendrait à peindre ces trous. Bramante, qui n’avait rien pour se défendre, se contenta de répondre qu’il ne pouvait faire autrement. La chose en vint chez le pape et, comme Bramante répliquait de même, Jules II, se tournant vers Michel-Ange, lui dit : « Puisque ce pont n’est pas à ta convenance, va et fais-en un à ta manière. » Michel-Ange démonta alors tout l’échafaudage et en fit retirer tant de matériaux que, les ayant donnés à un pauvre homme, son aide, celui-ci put, en les revendant, en marier ses deux filles. Il en dressa ensuite un autre, sans cordes et si bien agencé et composé, qu’aucun autre ne pouvait être plus solide, quelque poids qu’il portât. Ce fut, pour Bramante, une occasion d’ouvrir les yeux et d’apprendre la manière de faire un pont, ce dont il tira grand profit pour la construction de Saint-Pierre. Encore que Michel-Ange en toutes ces choses n’eût pas de rival, il ne voulut pas moins jamais faire profession d’architecte. Plus tard, à la mort d’Antonio San-Gallo, architecte de la Fabrique de Saint-Pierre, le pape Paul

  1. Albert Durer, peintre de Nuremberg, a écrit divers ouvrages qui attestent une versatilité peu commune de son esprit. Celui dont parlait Michel-Ange a pour titre : De simmetria partium in rectis formis humanorum corporum