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INTRODUCTION

humaine, en attitudes infinies, merveilleuses. Tandis que les uns, selon la prophétie d’Ézéchiel, n’ont réuni que l’ossature du squelette, d’autres se présentent mi-vêtus de chair, et d’autres tout à fait. Qui est tout nu, et qui enveloppé du linceul où il avait été enseveli et dans lequel il cherche à s’envelopper encore. Dans le nombre il en est qui, encore mal éveillés, regardent le ciel et semblent demander, dans leur doute, ou la divine Justice les appelle. C’est chose impressionnante à voir les uns sortir de terre avec effort et fatigue, d’autres, les bras tendus vers le ciel, prendre leur vol, d’autres encore voler déjà. Et tous s’élèvent dans les airs, qui plus, qui moins, en gestes différents. Par-dessus les anges aux trompettes, le Fils de Dieu siège en sa majesté, le bras droit puissamment levé à la manière d’un homme irrité qui maudit les coupables, les chasse de sa face vers le feu éternel ; tandis que, de la gauche qu’il ramène vers la droite, il semble doucement recueillir les bons. Porteurs de la sentence, on voit les anges, entre ciel et terre, pareils à des exécuteurs de la justice divine, accourir vers la droite, au secours des élus dont les esprits mauvais arrêteraient le vol, et, vers la gauche, rejetant les méchants à la terre d’où leur audace les a déjà fait remonter. Ces réprouvés sont tirés vers les abîmes par les esprits mauvais : les superbes sont pris à la tête, les luxurieux aux parties honteuses, et ainsi de suite chaque vicieux est saisi au membre par lequel il pécha. Au-dessous des réprouvés, on voit Caron avec sa barque, ainsi que Dante le décrit dans son Enfer, au marais d’Achéron. Il lève la rame, pour battre toute âme lente qui s’attarde. À peine la barque a touché la rive, qu’on voit toutes ces âmes s’en échapper en tumulte, éperonnées par la divine justice et comme si, aux termes du poète, la crainte se changeait en désir. Ensuite, Minos ayant prononcé la sentence, ces maudits sont tirés par des esprits malins vers la nuit infernale, et l’on voit des scènes effrayantes de graves et désespérés sentiments, comme il sied en ce lieu. Autour du Fils de Dieu, dans les nuées du Ciel et au milieu de la scène, les bienheureux ressuscites forment cercle et couronne ; tandis que, voisine de son fils et un peu séparée, on voit sa Mère, comme tremblante et peu rassurée par la colère et le secret de Dieu, se recueillir autant qu’elle le peut auprès du Juge. Après elle viennent le Précurseur, les douze Apôtres, les Saints et les Saintes de Dieu, chacun présentant au redoutable Juge l’instrument de supplice au moyen duquel il confessa sa foi et perdit la vie. Voici saint André et sa croix, saint Barthélémy et sa pelle, saint Laurent et son gril, saint Sébastien et ses flèches, saint Biaggio et son peigne de fer, sainte Catherine et sa roue, d’autres martyrs encore avec d’autres instruments par où ils se font reconnaître. Par-dessus tous ces saints, à droite et à gauche, tout en haut de la fresque, on voit des groupes d’anges aux poses variées, élevant vers le ciel la croix du Fils de Dieu, l’éponge, la couronne d’épines, les clous, la colonne où il fut flagellé, comme pour reprocher aux méchants les bienfaits de Dieu que leur ingratitude n’a pas reconnus, et comme pour réconforter et donner confiance aux bons par ces signes. Il y a là des détails infinis, que je passerai sous silence. Qu’il suffise de dire qu’en outre de la composition de l’histoire, on y voit représenté tout ce que la nature peut faire d’un corps humain.

LIV. — Le pape Paul ayant, plus tard, ouvert une chapelle au même