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INTRODUCTION

LI — Le pape Paul III, résolu dans sa proposition, s’en vint, un jour, chez Michel-Ange, avec une suite de huit ou dix cardinaux. Il voulut voir le carton lait, sous Clément VII, pour le chevet de la chapelle de Sixte, et aussi les statues déjà faites pour le tombeau de Jules. Il observait minutieusement toutes ces choses, quand le cardinal de Mantoue, qui était de la suite pontificale, voyant la statue du Moïse dont nous avons déjà parle et dont nous parlerons plus copieusement ensuite, se mit à dire : « Cette statue suffit à faire honneur à la sépulture du pape Jules. » Le pape Paul ayant tout passé en revue dit, bien en face, à Michel-Ange qu’il voulait recevoir sa visite En présence de nombreux cardinaux et du déjà nomme cardinal de Mantoue, comme Michel-Ange faisait la sourde oreille : « Je ferai bien en sorte dit le pape, que le duc d’Urbin se contente de trois statues de ta main, et que les autres trois qui restent a faire soient confiées à d’autres. » Ainsi il s’entremit pour que les agents du duc tissent un nouveau contrat accepte par l’Excellence, qui ne voulut pas, en cela, déplaire au pape. Ainsi Michel-Ange qui pouvait s’éviter de payer les trois statues, se sentit bien désoblige par là teneur de ce contrat. Néanmoins il voulut faire la dépense et déposa, pour ces statues et pour le reste du tombeau, mille cinq cent quatre-vingts ducats. De la sorte, les agents du duc d’Urbin le contraignirent a s’exécuter, et ainsi finit la tragédie de ce tombeau. Il se voit, aujourd’hui, dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens, non d’après le premier projet des quatre façades, mais selon le dernier d’une seule et des moindres, non détachée tout autour, mais appuyée à un mur, en raison des empêchements que nous avons déjà signalés Bien que restreinte à ces humbles mesures, cette œuvre n’en reste pas moins la plus digne qu’on puisse voir à Rome et peut-être ailleurs pour les trois statues qui y figurent de la main du maître. La plus merveilleuse est celle de Moïse, chef et conducteur des Hébreux. Il est assis, pensif et sage tenant sous le bras droit les Tables de la Loi, et de la main gauche appuyant son menton, comme un homme las et plein de soucis. Entre les doigts de cette main s’échappent de longues mèches de barbe, et c’est chose vraiment belle à voir. Le visage, plein de vivacité et d’esprit, inspire en même temps l’amour et la terreur, comme il dut être au naturel. Selon la description qu’on accoutume, il porte sur la tête deux cornes qui saillent à peu de distance de la naissance du front. Il porte la toge, les sandales et les bras nus, et tout le reste à l’antique. Œuvre merveilleuse et pleine d’art : sous les beaux vêtements dont le corps est couvert, il se devine, et le revêtement des plis n’enlève rien à la beauté de ce corps ; c’est d’ailleurs ce qu’on peut observer dans toutes les figures vêtues que Michel-Ange a faites soit en peinture, soit en sculpture. Cette statue mesure deux fois la grandeur humaine, au naturel. À sa droite, dans une niche, est une autre statue qui représente la Vie contemplative. Une femme, de grandeur plus que naturelle et de rare beauté, tient un genou plié non à terre, mais sur un socle, le visage et les mains levés au ciel, en telle attitude qu’elle semble respirer l’amour de toutes parts. De l’autre côté, c’est-à-dire à gauche du Moïse, est la Vie active : elle tient à la main droite un miroir où elle se contemple attentivement, signifiant parla que nos actes doivent être faits avec réflexion, et de sa main gauche tombe une guirlande de fleurs. En ce symbolisme, Michel-Ange a suivi Dante qu’il a toujours étudié et qui, dans son Purga-