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MICHEL-ANGE.

six statues de sa main. Il fut néanmoins concédé au pape Clément qu’il pourrait user de Michel-Ange à Florence ou autres lieux qu’il lui plairait, quatre mois de l’année. Tel fut le contrat passé entre le duc d’Urbin et Michel-Ange.

XLIX. — Mais il faut savoir que, tous les comptes étant ainsi arrêtés, Michel-Ange, pour paraître plus obligé envers le duc d’Urbin et devoir moins de fidélité au pape Clément qui le mandait à Florence (où pour aucun motif il ne voulait retourner), s’accorda secrètement avec l’avocat et l’agent de l’Excellence pour faire dire à ceux-ci qu’il avait reçu quelques milliers d’écus en plus de ceux qu’il avait eus réellement. Ceci fut fait non seulement sur paroles, mais — sans que Michel-Ange le sût et y ait consenti — consigné dans le contrat ; non sur l’acte notarié, mais seulement sur la copie. Michel-Ange s’en troubla fortement. L’avocat voulut le persuader qu’il ne lui en surviendrait aucun préjudice, car il importait peu que le contrat spécifiât (à mille près) plus de vingt mille écus, puisqu’on était d’accord que le tombeau en était réduit à la quantité de l’argent vraiment reçu. Il ajouta que personne n’avait à en connaître, sinon Michel-Ange lui-même, et qu’il pouvait être bien tranquille sur ce secret qui les liait entre eux. Alors Michel-Ange se calma, tant parce qu’il pouvait avoir tout à fait la pleine assurance, que parce qu’il désirait que cette combinaison lui servît auprès du pape, comme nous avons dit. Pour cette fois, la chose passa bien, mais à la fin il n’en fut pas de même. Après l’avoir gardé quatre mois à Florence et rappelé à Rome, le pape chercha à l’occuper à d’autres travaux et voulut lui faire peindre le chevet de la chapelle de Sixte. Ce pape fort judicieux, ayant pensé à maints sujets, s’arrêta finalement au thème du Jugement Dernier, estimant que la variété et la grandeur de ce sujet donneraient à cet homme un champ assez vaste pour y développer toute sa valeur. Michel-Ange, qui n’ignorait pas l’obligation contractée avec le duc d’Urbin, éluda cette commande autant qu’il put. Ne pouvant s’en libérer, il traînait la chose en longueur. S’occupant du carton en particulier, il travaillait secrètement aux statues qui devaient aller au tombeau de Jules.

L. — Dans l’intervalle, le pape Clément mourut, et Paul III fut créé à sa place. Il fit appeler Michel-Ange et chercha à l’avoir auprès de lui. Le maître, qui doutait de pouvoir entreprendre ce Jugement Dernier, répondit qu’il ne pourrait s’en occuper, parce qu’il était obligé par contrat avec le duc d’Urbin jusqu’à ce qu’il aurait fini l’ouvrage qu’il avait en mains. Le pape s’en troubla et dit : « Voici déjà trente ans que je caresse ce projet. Et à présent que je suis pape, je ne puis le réaliser ? Où est-il, ce contrat ? Je veux le déchirer. » Michel-Ange, poussé à bout, se décida presque à s’en aller à Gènes dans une abbaye de l’évêque d’Aléria, créature du pape Jules et grand ami de l’artiste. Là, il finirait son œuvre au voisinage commode de Carrare, d’où il pourrait facilement transporter ses marbres par mer. Il pensa aussi se réfugier à Urbin, où auparavant il avait projeté d’habiter, comme en un lieu paisible, et où, pour la mémoire du pape Jules, il espérait d’être bien vu. Quelques mois auparavant, il avait même envoyé là un de ses hommes pour acheter une maison et quelques biens. Mais craignant, comme il le devait naturellement, la puissance du pape, il ne partit point, espérant donner à celui-ci satisfaction par de bonnes paroles.