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INTRODUCTION

comme un gentilhomme. C’est pourquoi, méprisant en même temps tous les métiers des citoyens de Florence qui, pour la plus grande partie, s’adonnent au commerce, il avait répondu, comme s’il eût voulu dire : « Tu me demandes quel est mon art ? Penserais-tu que je sois un marchand ? » Michel-Ange, qui comprit bien le gentilhomme à sa parole : « Vous feriez chez moi, ajouta-t-il, une bien mauvaise emplette pour votre maître. Allez-vous-en plutôt ! » Ainsi congédiant le messager ducal, il fit, à quelques jours de là, don de ce tableau à un de ses garçons d’atelier qui, ayant deux sœurs à marier, s’était recommandé à lui pour la dot. Cette peinture fut envoyée en France et achetée par le roi François Ier. Elle y est encore [1].

XLVIII. — Pour revenir au récit dont je m’étais éloigné, quand Michel-Ange fut rappelé à Rome par le pape Clément, le tombeau du pape Jules fut remis en discussion par les agents du duc d’Urbin. Clément, qui eût voulu se servir de l’artiste à Florence, chercha par tous les moyens de le délivrer et le lui fit savoir par un de ses procurateurs, messer Tommaso da Prato. Mais Michel-Ange n’avait pas oublié les mauvaises intentions du duc Alexandre contre lui, et il les redoutait fort. En outre, portant amour et révérence à la dépouille du pape Jules et à l’illustrissime maison de la Rovère, il faisait tous ses efforts pour rester à Rome et s’y occuper du tombeau. D’autant plus que, pour tout ce dont il avait été chargé, il passait, comme nous avons dit, pour avoir reçu du pape Jules au moins seize mille écus et pour jouir de cette somme sans rien faire pour se libérer. Ne pouvant supporter cette infamie, en homme délicat sur le point d’honneur, il voulait que la chose fût déclarée ouvertement ; car, encore que déjà vieux, il ne redoutait pas la lourde charge de finir ce qu’il avait commencé. Quand on en vint aux explications, comme ses adversaires n’arrivaient pas à trouver la somme, cause de la première discussion et que bien plutôt il manquait les deux tiers à l’entier payement de l’accord fait avec les deux cardinaux, Clément, estimant cette occasion fort belle pour débarrasser Michel-Ange et se servir librement de lui, le fit appeler et lui dit : « Eh bien ! dis que tu veux faire ce tombeau, mais que tu veux savoir qui aura à te payer le reste. » Michel-Ange, qui connaissait la volonté du pape, désireux de le garder à son service, répondit : « Et qui sera là pour me payer ? » À quoi le pape Clément ajouta : « Tu es bien fou si tu t’attends dans la suite à trouver quelqu’un qui t’offre même un quatrino (un sou). » La chose ainsi jugée et messer Tommaso le procurateur en ayant fait part aux agents du duc, ceux-ci commencèrent à se regarder l’un l’autre sous le nez et conclurent ensemble qu’il fût fait, du moins, un tombeau pour la somme qui en avait été reçue. Michel-Ange trouva la chose’bien jugée et y consentit volontiers. Il y était surtout poussé par l’autorité du vieux cardinal Di Monte, créature de Jules II et oncle de Jules III (notre pontife à l’heure où ceci est écrit), lequel avait bien voulu intervenir dans l’accord. Et cet accord fut le suivant. Michel-Ange ferait un tombeau d’une seule façade et y emploierait les marbres qu’il avait déjà fait travailler pour le tombeau quadrangulaire, en les y accommodant le mieux qu’il pourrait. Il s’engageait à y faire figurer

  1. Cette Leda fut à Fontainebleau jusqu’au règne de Louis XIII, alors que le surintendant royal Desnoyers, la trouvant indécente, la fit brûler par scrupule de conscience.