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MICHEL-ANGE.

pour son bon et fidèle attachement, il n’avait pas mérité en échange d’être chassé comme un mauvais homme de la présence du pape ; et qu’enfin, Sa Sainteté ne voulant plus donner suite au projet de son tombeau, il s’en trouvait dégagé et ne voulait pas contracter d’engagement nouveau. Ayant daté sa lettre, il congédia les courriers et s’en vint à Florence, où, pendant les trois mois qu’il y resta, la Signoria reçut trois Brefs pleins de menaces pour que Michel-Ange revint, de gré ou de force.

XXX. — Pier Soderini était alors gonfalonnier à vie. Comme, avant ces événements, il avait, malgré lui, laissé partir Michel-Ange pour Rome, il projeta de profiter de son retour pour lui faire peindre la salle du Conseil. Au premier Bref, il n’obligea pas Michel-Ange à s’en revenir, espérant que la colère du pape passerait ; mais, à la réception du second et du troisième, ayant fait appeler Michel-Ange, il lui dit : « Tu as fait avec le pape un essai que n’aurait pas osé un roi de France. Mais tu n’as plus à te faire prier. Nous ne voulons pas, pour toi, faire avec lui la guerre et mettre l’État en péril. Dispose-toi donc à retourner là-bas. » Alors Michel-Ange, se voyant contraint et craignant la colère du pape, pensa de s’en aller au Levant. La principale raison en était qu’il avait été sollicité par le Grand Turc, avec de grandes promesses dont certains Frères de Saint-François avaient été les intermédiaires, d’aller faire là-bas un pont qui relierait Constantinople à Pera, et d’y essayer encore d’autres entreprises. En apprenant cela, le gonfalonnier envoya chercher Michel-Ange et le détourna d’un tel projet en disant qu’il lui vaudrait mieux d’aller mourir chez le pape, que d’aller vivre chez le Turc ; que néanmoins il n’avait pas à craindre cela, parce que le pape était bon et qu’il le réclamait pour lui faire, non du mal, mais du bien ; et que, s’il avait quelque crainte, la Signoria l’enverrait avec le titre d’ambassadeur ; car il n’est pas admis qu’il soit fait le moindre mal aux personnes publiquement chargées d’un message. Sur ces paroles et d’autres encore, Michel-Ange se résolut au retour.

XXXI. — Pendant ce séjour qu’il fit à Florence, deux choses arrivèrent. La première fut l’exécution de ce merveilleux carton commencé pour la salle du Conseil, où Michel-Ange représenta la Guerre de Pise et les divers épisodes qui s’y déroulèrent. Ce carton des plus artistiques fut connu par tous ceux qui ont depuis tenu un pinceau. Je ne sais quel mauvais sort [1] lui arriva dans la salle où Michel-Ange l’avait laissé, et qui s’appelle la salle du Pape, à Santa-Maria-Novella de Florence. On en voit pourtant quelque part un morceau conservé avec le plus grand soin et comme une chose sacrée. Le second incident fut la prise de Bologne et le départ du pape Jules pour cette ville, dont la reddition l’avait comblé de joie. Ce fait rendit courage à Michel-Ange, qui résolut d’aller rejoindre le pape avec plus d’espoir.

XXXII. — Arrivé donc, un matin, à Bologne et étant allé à San-Petronio pour entendre la messe, il fut reconnu par les palefreniers du pape, qui le menèrent à leur maître au moment où celui-ci allait se mettre à table, au palais des Seize. Quand Jules II vit apparaître Michel-Ange, il lui dit, d’un

  1. Selon Vasari, ce carton de la Guerre de Pise aurait été mis en morceaux par Baccio Bandinelli, jaloux de Michel-Ange.