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MICHEL-ANGE.

C’est vous qui me donnez l’essor ; c’est votre génie qui m’élève incessamment vers le ciel. Faible, abattu, ou plein d’énergie et de force, je suis, à votre gré, brûlant au milieu des frimas, ou glacé sous les feux de l’été.

Je n’ai d’autre volonté que la vôtre ; je puise mes pensées dans votre âme, mes expressions dans votre esprit.

Je ressemble à l’astre des nuits, qui réfléchit seulement à nos yeux l’éclat que le soleil lui prête.


SONNET X
Non so figura alcuna…

Ni la réalité, ni la fiction, malgré l’élan de ma pensée, ne m’offrent aucune beauté que je puisse, selon mes désirs, opposer victorieusement à la tienne.

Si je m’éloigne de toi, mon esprit est soudain abattu, mon âme demeure sans force ; et croyant calmer ainsi ma douleur, je ne fais, hélas ! que l’accroître au point de me donner la mort.

Que me servirait désormais de vouloir précipiter ma fuite, si l’image de cette beauté ennemie est sans cesse attachée à mes pas ? Évite-t-on, par une fuite prompte, une poursuite plus prompte encore ?

Mais l’amour, essuyant mes pleurs d’une main caressante, me promet des douceurs dans mes maux. Ce qui cause tant de peine, en effet, ne saurait être sans prix.


SONNET XI
Fuggite, amanti, amore…

Fuyez, amants, fuyez l’amour et ses ardeurs ; sa flamme est âpre, sa blessure mortelle. Qui ne le fuit soudain, lui opposera vainement plus tard le courage et la force, l’absence et la raison.

Fuyez : que le trait mortel qui m’a frappé, ne soit pas pour vous une stérile leçon. Voyez en moi les maux qui vous attendent, et combien sont barbares les jeux de cet enfant.

Fuyez-le, sans tarder, fuyez dès le premier regard. Je crus pouvoir en tout temps obtenir de lui le repos. Hélas ! voyez maintenant le feu qui me dévore.

Insensé celui qui, violemment épris d’une séduisante beauté, égaré par de trompeurs désirs, ferme l’oreille et les yeux à son propre bonheur, pour courir au-devant des traits empoisonnés de l’amour !


SONNET XII
Se nel volto per gli occhi…

S’il est vrai que les yeux soient le miroir de l’âme, tu as déjà pu voir dans les miens le feu qui me consume ; et n’est-ce pas assez pour mériter ta pitié, sans recourir aux prières ?

Mais, peut-être plus touchée que je n’ose l’espérer de cette chaste flamme à laquelle)e dois mes vertus et ma gloire, tu souris à mon amour, comme digne d’être exaucé par la pureté de ses vœux.

Jour fortuné ! si mon cœur ne s’abuse, que le temps s’arrête soudain ; que le soleil cesse de poursuivre son antique carrière ;