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CORRESPONDANCE

jours volé, et quelle punition je mérite : vous en serez hautement loué. Criez et dites, sur moi, ce que vous voudrez ; mais ne m’écrivez plus, parce que vous m’empêchez de travailler. J’ai pourtant besoin de vous marquer ce que vous avez eu de moi, depuis ces vingt-cinq dernières années. Je ne voudrais pas vous le rappeler, mais je ne puis faire autrement. Soignez-vous bien et gardez-vous de qui vous avez à vous garder ; car on ne meurt qu’une fois, et on ne revient pas en ce monde pour réparer les torts qu’on y a faits. Et vous avez fait patienter la mort si longtemps pour commettre de telles choses ? Que Dieu vous assiste !

0000(Musée Britann.)



XI

Ludovic Buonarroti à son fils Michel-Ange.
Florence, 13 mars 1500.0000

Aujourd’hui, 13 du présent mois, j’ai reçu ta réponse. Si tu penses que te suis mécontent, tu le penses avec raison. Pour ce qui regarde Dieu, je suis heureusement satisfait ; mais pour ce qui concerne mes fils j’ai peu de raison de l’être. J’ai cinq enfants qui sont présentement des hommes ; et, à l’âge de 56 ans, où, grâce à Dieu, j’arrive, je n’en trouve pas un qui veuille me secourir d’un verre d’eau.

Bien plus, dans mes jours de vieillesse, il faut que je vienne en aide a la famille de ma famille ; il faut que je trouve l’argent pour sa dépense et, qui pis est, que je cuisine, que je balaye, que je lave la vaisselle, que je fasse le pain, que j’avise de mon esprit et de mes mains à tous les besoins de ceux qui se portent bien ou mal. Et si je souffre de la tête ou des reins, si Dieu, pour ma disgrâce, me prive de santé, il faut que je me soigne moi-même.

Ce temps passé, j’ai trouvé (pour mon veuvage) des partis que, par amour pour mes enfants, je n’ai pas voulu accepter. Mais si Dieu, a l’avenir m’en fait rencontrer de semblables aux précédents, peut-être les prendrai-je, quoi qu’ils vaillent. Il faut que j’aime moi, d’abord, les autres ensuite. Je n’insiste pas davantage, je t’en ai assez dit pour que tu te règles en conséquence.

J’apprends que tu aurais dans l’idée de revenir a Florence. Je pense que ce serait bien fait, si tu le faisais ; mais je n’y crois pas. Fais a ta guise. J’éprouve grand plaisir que tu acquières du renom, mais j’en ressentirais Plus encore s’il te rapportait (plus de) profit. Sans doute, j’estime plus l’honneur que le profit ; mais quand l’un et l’autre vont ensemble, comme ce serait plus raisonnable, il y a aussi plus de joie. J’ai toujours entendu dire que deux contraires ne peuvent pas aller de pair : et toi tu veux les unir et te les faire amis. Pourtant le renom n’a pas coutume d’aller sans le profit et toi tu as renom sans bénéfice. Si je ne m’abuse, je te comprends si mal qu’il n’est pas de plus grand déplaisir que je puisse éprouver. À te