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casion de la maladie du roi, en 1788, fournit à Burke une occasion de se signaler. Il lutta avec vigueur contre la proposition de limiter les pouvoirs du régent, et contre le principe, posé par le ministre, que la régence était élective et non héréditaire. Les efforts du parti de l’opposition, en cette circonstance, ne furent ni heureux, ni secondes par la faveur populaire, et Burke s’exposa à une censure particulière, en se laissant entraîner, par la chaleur de son imagination, à des expressions peu respectueuses pour la personne du roi. Mais ce qu’il y a de remarquable dans la carrière politique de cet orateur, c’est la manière dont il se prononça contre la révolution française dès son origine. On aurait pu supposer qu’un homme qui avait longtemps fait cause commune avec les amis de la liberté dans son pays, et montré beaucoup d’égards pour les Américains insurgés, applaudirait aux tentatives d’une nation voisine pour obtenir une forme de gouvernement conforme aux principes qu’il avait si souvent énoncés ; mais son respect pour les institutions consacrées par le temps, et le sentiment profond de justice et d’humanité qui l’animaient, expliquent son premier éloignement et ensuite la haine violente que lui inspira cette grande subversion politique, si terrible même à sa naissance. La première occasion qu’il eut de montrer cette haine se présenta, en février 1790, dans un débat de la chambre des communes, où il s’agissait de la réduction de l’armée. Fox voulait qu’on témoignât une noble confiance dans les travaux régulateurs de la France. Ce fut à ce sujet que Burke déclara hautement qu’il rompait avec lui tous liens d’amitié. Bientôt après, il conçut l’idée de ses Réflexions sur la révolution française, qui parurent au mois d’octobre de la même année. Il fallait que sa pénétration fût extrême pour si bien juger et prédire les suites de la violente commotion que venait d’éprouver la France, tandis que l’enthousiasme des théories nouvelles avait commencé à saisir un si grand nombre d’Anglais et nommément plusieurs personnages influents. On a vu peu île livres produire une pareille sensation. Il eut un débit dont on n’avait pas d’exemple en Angleterre, et fut recherché en France avec une égale avidité. Les ennemis de Burke eux-mêmes ne pouvaient se refuser à reconnaître une grande profondeur et des beautés du premier ordre dans cet écrit, qui d’ailleurs trahit une imagination trop ardente, quelquefois mal réglée. D’un autre côté, il rencontra quelques critiques sévères et même assez redoutables. Entre autres réponses auxquelles les Réflexions donnèrent lieu, on sonnailles fameux Droits de l’Homme, de Payne. Pendant un certain temps, ils semblèrent, malgré la disproportion de talent et de raison entre les deux antagonistes, devoir balancer l’effet produit par l’illustre orateur ; mais bientôt les événements et les grands intérêts mis en jeu se réunirent pour établir l’avantage absolu du côté de Burke, et on ne peut douter que la direction donnée par son opinion ne soit entrée pour beaucoup dans l’impulsion populaire qui porta les Anglais a une guerre dont les funestes conséquences se font sentir encore. Il continua le même genre d’attaque en publiant : 1° sa Lettre à. un membre de l’assemblée nationale, 1791 ; 2° un Appel des whigs modernes aux whigs anciens ; 3° Lettre à un tord sur une discussion avec le duc de Bedford ; 4° Pensées sur la paix régicide. Son horreur toujours croissante pour la révolution française était devenue la passion dominante de son âme. Il ne pouvait en entendre parler sans, éprouver une irritation violente ; aussi les succès qui soutinrent cette révolution ont-ils jeté une extrême amertume sur la dernière partie de sa vie. Personne mieux que lui n’en avait étudié les progrès et la nature ; les plus petits événements et les personnages les moins influents de cette époque lui étaient connus comme s’il avait vécu au milieu d’eux. Il ne s’occupa plus que d’un seul objet politique qui y fût étranger, le projet d’émancipation des catholiques en Irlande. L’utilité d’admettre cette portion de la nation anglaise aux droits d’électeurs lui fournit, en 1792, la matière d’une Lettre à sir Hercules Langrishe. Lorsqu’il crut devoir se retirer du parlement, sa place y fut occupée par son fils unique, jeune homme qu’il admirait autant qu’il le chérissait. La mort de ce fils, arrivée bientôt après, fut pour Burke un coup terrible. Lui-même termina sa carrière le 8 juillet 1797, dans la 68° année de son âge. Burke était très-aimable dans la vie privée. Poussant l’amour des louanges jusqu’à la faiblesse, il rendait libéralement celles qu’il avait reçues. Son goût le portait vers les beaux-arts, qu’il protégea souvent de la manière la plus noble. Il n’encouragea pas moins l’économie rurale, cherchant en général à étendre dans tout son voisinage les plans de bienfaisance et d’utilité publique. Cette disposition bienveillante de son âme eut en dernier lien pour objet les victimes de la révolution française réfugiées en Angleterre ; et il fonda une école pour les enfants des Français momentanément expatriés, dont la surveillance presque paternelle et l’instruction paraissent l’avoir occupé jusqu’au jour où il cessa d’exister. Quelques personnes lui ont attribué les célèbres Lettres de Junius, du moins est-il réputé y, avoir eu une part considérable ; mais la publication de ce livre est un mystère littéraire qu’on n’a pas encore pénétré. D’autres morceaux de littérature et de politique, dont nous n’avons pas parlé, sont connus pour avoir exercé la plume de Burke. Sa vie, écrite par Robert Bisset, Écossais, publiée en 1798, a été réimprimée à Londres en 1808. M. Formie a aussi donné des Mémoires de Burke[1].Voici la liste de ceux de ses ouvrages qui ont été traduits en français : 1° Recherches philosophiques sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, traduites de l’anglais par D. F. (Desfrançois), Paris, 1765 ; nouvelle traduction, avec un précis de la vie de l’auteur, par


  1. On trouve des détails intéressants sur la vie de Burke, sur ses écrits et sur sa personne, dans le Memoir of the life and the character of Edm. Burke, 2e édition, Londres, 1821. 2 vol. in-8°, par James Prior, et dans le journal allemand Zeit Genossen, n° 5, p. 79-122. M. Villemain a donné de ce grand orateur et publiciste une appréciation très-remarquable, appuyée de plusieurs extraits de ses discours dans les 13e, 16e et 17e leçons de son Cours de littérature française.
    D-e-r.