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qu’à nos ennemis à l’admirer après les avoir vaincus sur terre et sur mer. » Le comte, entendant ces paroles, leva les yeux au ciel, et proféra ce passage d’un psaume : « Ô père du ciel et de la terre, vous avez caché ma cause aux superbes et aux prudents, et vous l’avez révélée aux humbles et aux pauvres ! — Quant à moi, dit le preux chevalier, capitaine des trois cents shires, j’aime mieux qu’on pende Hubert de Burgho que moi.» Et il le fit placer sur un cheval, lui lia les pieds avec de fortes courroies sous le ventre de l’animal qu’il montait, et l’amena ainsi dans la Tour de Londres. Le roi était tout enorgueilli de ce triomphe, quand l’évêque de Londres vint troubler sa joie, en lui reprochant d’avoir violé la paix de l’Église, et en le sermonant, sous peine d’excommunication, de faire reconduire son prisonnier dans la prison d’où on l’avait arraché. Il fallut s’y soumettre ; mais Henri ordonna en même temps aux vicomtes de Hertford et d’Essex, et toujours sous peine du gibet, d’investir la chapelle, et de ne laisser ni le prisonnier sortir, ni aucune nourriture entrer. « Mais enfin, sire, que voulez-vous faire de lui ? » dit au roi l’archevêque de Dublin, ami fidèle du ministre disgracié, et qui surveillait les projets haineux du criminel évêque de Winchester. « Qu’il choisisse, répondit le roi, ou de s’avouer un traître, ou de subir une prison perpétuelle, ou de renoncer pour jamais à l’Angleterre.» Le comte de Kent répondit qu’il ne pouvait renoncer ni à son honneur, ni à sa liberté, ni à son pays, et soutint un vrai blocus dans sa chapelle, qu’on avait investie d’un profond et large fossé. Privé de deux serviteurs, qui longtemps avaient su tromper la vigilance des assiégeants, et vaincu par la faim, il se rendit aux deux vicomtes chargés de l’arrêter, fut ramené à la Tour de Londres, et s’attendait chaque jour à y recevoir le coup de la mort lorsqu’une circonstance singulière commença d’adoucir les dispositions du roi à son égard. Ses ennemis découvriront et dénoncèrent un dépôt d’or, d’argent, et d’autres objets précieux qu’il avait mis en sureté dans la maison des templiers. Le maître du Temple, sommé par le monarque de lui livrer tous ces effets, répondit courageusement qu’il ne pouvait remettre un dépôt qu’à celui qui le lui avait confié. Le comte de Kent fit dire à ce fidèle dépositaire que ses biens comme sa personne appartenaient au roi. Henri, charmé de posséder ce trésor, se sentit attendri par la résignation du comte, répondit à ceux qui le pressaient de sévir contre Hubert : et il a servi fidèlement mon oncle et mon père ; le bien qu’il m’a fait est constant ; le mal qu’on lui reproche n’est pas prouvé. J’aime mieux paraître indulgent jusqu’à la faiblesse que sévère jusqu’à la tyrannie. » Henri fit bientôt quelque chose de plus ; il rendit au comte, non pas ses effets mobiliers, mais ses terres patrimoniales, et même celles qui lui avaient été données par le feu roi. La princesse d’Écosse, épouse de Hubert, reçut aussi quelques marques d’attention, et le comte fut envoyé au château de Devises, pour y résider avec quelque ombre de liberté, sous la garantie de quatre seigneurs, dont le premier était le comte Richard, frère du roi. Il ne tarda pas à s’y voir plus étroitement resserré que jamais, par les manœuvres de l’évêque de Winchester. Ce prélat, après avoir rempli le conseil de sujets, et l’armée de soldats poitevins, résolut de ne s’en lier qu’à lui pour se défaire du comte de Kent, vers lequel il voyait se porter les regards des Anglais et les regrets de leur monarque. Il demanda au roi le gouvernement du château de Devises, sans prononcer le nom de Burgho ; obtint sa demande, s’occupa sur-le-champ du coup qu’il méditait, mais ne put dérober à tous les yeux son atroce machination. Deux des gardes du comte de Kent, saisis d’horreur et de pitié, résolurent de le faire évader ; et la nuit, tandis que l’un des deux était de faction à l’entrée du château, l’autre en sortit portant sur ses épaules l’illustre prisonnier enfermé dans un sac, traversa, sous ce précieux fardeau, un fossé immense, et alla le déposer au pied du maître-autel dans l’église paroissiale du lieu. Le roi, excité par son perfide ministre, renouvela alors la scène de Merton dans son entier ; mais les évêques ne se bornèrent pas à menacer ; ils fulminèrent l’excommunication, et Henri fut encore obligé de faire conduire le comte de Kent dans l’église d’où la violence l’avait arraché, sauf à l’y faire assiéger par la faim, Mais cette fois ses amis encouragés vinrent l’y délivrer, lui donnèrent des armes, et l’emmenèrent, lui et ses deux libérateurs, à la cour de Léolinn, prince de Galles, avec lesquels s’étaient confédérés les seigneurs anglais, dépouillés et proscrits par le ministère poitevin. Enfin, après deux ans de discordes et de combats, effrayé des révoltes de ses barons, convaincu par les remontrances de son clergé, éclairé sur les’ trahisons de ses ministres, Henri destitua ces derniers, lit la paix avec le prince de Galles, et invita les prescrits à revenir à sa cour.

Le comte de Kent se hâta d’y reparaître. Le roi courut au-devant de lui, le serra dans ses bras, lui promit le retour complet de ses bonnes grâces, rejets toutes ses injustices sur les ministres étrangers qu’il venait de disgracier ; et, parmi les actes de trahison dont il les accusa devant toute sa cour, il articula positivement les calomnies contre Hubert de Burgho, ses divers emprisonnements, et le projet formé de le faire périr sur un échafaud. Hubert passa tranquillement le reste de ses jours, les consacrant à la religion et à l’amitié, jouissant de la faveur du roi, et ayant accepté une place dans le conseil, mais déclinent toujours le ministère.

L-t—L.


BURGHO (Guillaume Fitz-Adelm de), cousin germain du précédent, partit en 1175 du comté d’York, avec vingt chevaliers ses vassaux, et alla, sur les pas des premiers aventuriers anglais, dits Strongboniens, tenter la fortune en Irlande. À peine arrivé, il fut nommé le premier des cinq seigneurs chargés d’exercer la vice-royauté dans la partie déjà soumise de l’île. Là, sans aucune des qualités nécessaires pour gouverner, il déploya tous les vices qui font haïr un gouvernement. Corrompu dans ses mœurs, cruel et perfide dans son ambition, ne sachant pas même décorer sa cupidité de l’éclat trom-