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port, assure les manœuvres d’eau et termine le bassin. Colbert et Seignelay le félicitent de ce que la France aura, grâce à son zèle, un port de plus. « Vous allez, lui écrivent-ils, augmenter la puissance du roi sur mer, autant que vous l’avez fait sur terre, en dirigeant tant de siéges et construisant tant de forteresses. » Bientôt l’on vit sortir en même temps de ce port, jusqu’alors abandonné aux pêcheurs, l’escadre de Jean Bart ; des vaisseaux armés par les corsaires, fléaux du commerce anglais, et les premières galiotes à bombes, qui furent préparées pour la ruine d’Alger. Ayant mis ainsi les travaux de toutes les places de la frontière du Nord en pleine activité, Vauban passe au Midi, reprend les projets de Toulon, l’agrandit, y donne les plans d’un arsenal, parcourt la côte, établit à Perpignan le centre de la défense et de l’offensive de cette frontière ; lie entre eux tous les postes de la chaîne des Pyrénées orientales, choisit une position d’où l’on puisse dominer à la fois toutes les vallées, et y construit Mont-Louis. Cette forteresse achevée, il retourne au nord, y complète le système de défense par le fort de Neulay, près de Calais, par des écluses pour former les inondations ; par le fort Lakenoque, assez heureusement situé pour protéger la communication d’Ypres avec Menin, et couvrir Cassel. Cette première ligne était interrompue entre l’Escaut et la Meuse ; Charlemont remis en état et Maubeuge construit achèvent ce système, et sont liés à Philippeville, place insuffisante pour défendre cet intervalle. Enfin les places neuves de Longwy, Sarrelouis, Thionville, Bitche, Phalsbourg, Béfort, Lichtemberg, Haguenau, Schelestadt, ferment les Vosges, attachent l’Alsace à la France, et assurent la conquête de cette province. Huningue, favorable à l’offensive, s’élève grès de Bâle, et protége avec Landskroon, la frontière du Rhin et celle du Jura. Fribourg, l’une des portes de l’Allemagne et la clef des montagnes Noires, est rendu inexpugnable par de nouveaux forts. Après avoir mis en activité tant de travaux, Vauban retourne au midi, ajoute de nouveaux ouvrages à Besançon, à Pignerol ; parcourt les Pyrénées occidentales, et rédige un plan de défense conforme à celui qu’il avait créé à l’orient de la chaîne. Bayonne est sa place de dépôt, St-Jean-Pied-de-Port son point d’appui dans les montagnes ; le fort d’Andaye est construit pour battre l’embouchure de la Bidassoa. Dans tous ces projets, il tache de concilier avec l’intérêt de l’État celui du commerce et des citoyens, en améliorant les ports de Bayonne et de St-Jean-de-Luz. L’année suivante (1681), il s’occupe des côtes et donne ses soins à St-Martin de Ré, à Brouage, à Rochefort, à Brest, et protége leurs rades par de nouveaux forts. À peine ces immenses travaux étaient tracés que Louvois demande Vauban à Colbert. Il s’agissait de Strasbourg, ville libre, qui, d’après les traités, devait rester neutre ; mais les magistrats favorisaient les Autrichiens, leur livraient passage, et sur ce point la ligne de défense était interrompue. Le seul remède était de s’emparer de cette ville et de la fortifier. La violation des traités en donnait le droit. Louvois en devient le maître par ruse, et Vauban, qui devait l’assiéger, en augmente la force, et par une citadelle, par le fort de Kehl, par les redoutes du Rhin, il assure à cette place la possession des deux rives du fleuve et de ses îles. Pour hâter ces travaux et diminuer la dépense, il creuse le canal de la Bruche, et les matériaux arrivent des Vosges aux portes de la ville. Cassel éprouve bientôt le même sort. La place était en mauvais état : pour la réparer, Catinat fit un projet qu’il soumit à Vauban, son ami, son compagnon d’armes, et qu’il appelait son maître : « S’il entre, écrivait-il en lui envoyant ce projet, s’il entre du sens réprouvé dans mes plans, faites-moi une correction en maître et, par charité pour votre disciple, supprimez tout ce papier barbouillé. » Le maître était aussi modeste que le disciple. Quel exemple et quels noms que ceux de Catinat et de Vauban ! Rien n’arrète celui-ci ; il semble que tous les jours de sa vie doivent être marqués par quelque service. Le port d’Antibes, la citadelle de Belle-Île, les jetées de Honfleur, les ports d’Ambleteuse et de St-Valery, enfin un grand nombre de forts sur les frontières continentales sont, en moins de deux années (1682-1683), construits ou réparés par ses soins. Mais la paix, que le traité de Nimègue avait rendue à l’Europe, finit en 1683, et ce fut alors qu’on dut apprécier toute l’activité de Vauban, qui n’avait pas perdu un seul instant. Au premier bruit de guerre, tout est prêt sur tous les points ; il n’est pas une issue pour l’ennemi, étonné de voir une enceinte fortifiée de toutes parts, et dont il ne lui est plus permis de s’approcher. L’armée française entre en Belgique : après quatre jours de tranchée, Vauban prend Courtray, et bientôt ses efforts se dirigent contre Luxembourg, contre cette redoutable place, regardée comme imprenable par sa situation sur une masse de rochers, par les nombreux ouvrages qui la défendent. Ce siège important est précédé de tous les préparatifs nécessaires : soixante ingénieurs sont mis sous les ordres de Vauban, qui les divise en quatre brigades. Une reconnaissance exacte de la place était indispensable, mais difficile et dangereuse. Aucun péril ne peut arrêter Vauban. Toutes les nuits il s’avance lui-même jusqu’à la palissade, soutenu par des grenadiers couchés ventre à terre. À l’une de ces reconnaissances, il s’aperçoit qu’il est découvert. Au lieu de se retirer, il fait signe de ne pas tirer aux ennemis, qui le prennent pour un des leurs, et ils n’en doutent plus quand ils le voient s’avancer vers eux. Vauban sonde le glacis ; cette opération faite, il revient à pas lents et doit la vie à ce mélange de présence