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officiers généraux jugeaient qu’il était contre toutes les règles de la guerre d’attaquer ce poste : on ne gagnait rien en s’en emparant, et l’on s’exposait, en manquant ce coup, à une perte incalculable. Villeroi, méprisant tous les avis, sigpifia au duc de Savoie qu’il fallait marcher et envoya un aide de camp ordonner de sa part à Catinat d’attaquer. Celui-ci se fit répéter l’ordre trois fois ; puis, se tournant vers ses officiers : « Allons donc, messieurs, dit-il, il faut obéir. » On marcha aux retranchements. Le duc de Savoie, que l’on soupçonnait de trahison, se battit en désespéré ; Catinat chercha à se faire tuer, et il fut blessé ; mais, voyant que Villeroi ne donnait point d’ordres, il resta sur le champ de bataille pour diriger la retraite et quitta l’armée dès qu’il fut guéri. Le maréchal de Villeroi, entièrement livré à lui-même, annonça qu’il trouverait bientôt une occasion de prendre sa revanche sur le prince Eugène. L’hiver suivant, il était à Crémone : une nuit qu’il dormait avec sécurité il est réveillé par plusieurs décharges de mousqueterie. Il se lève en hâte, monte à cheval et dès le premier pas qu’il fait dans la rue tombe au milieu d’un escadron ennemi, qui le fait prisonnier et le conduit hors de la ville, sans lui donner le loisir d’apprendre ce qui se passait. Crémone avait été surprise par les impériaux, qui en occupaient déjà les places et les rues principales (voy. Bucåne). Ils en furent chassés par la seule valeur de la garnison française ; mais ils emmenèrent le maréchal (l" février 1702), ce qui donna lieu au couplet suivant, que la France entière répéta après l’armée :

Pallunbleu, la nouvelle est bonne,

Et notre bonheur sans égal !

Nous avons recouvré Crémono,

Et perdu notre général.

Les courtisans redoublèrent de sarcasmes contre un homme aussi malhabile que présomptueux. Le roi, dit Voltaire, qui le plaignait sans le condamner, irrité qu’on blåmàt si ouvertement son choix, s’échappa àdire : « On se déchaîne contre « lui parce qu’il est mon favori, » terme dont il nese servit jamais (pour personne que cette seule fois en sa vie. Le uc de Vendôme fut promptement envoyé en Italie, pour prendre le commandement de cette armée sans général. Malheureusement les ennemis de la France rendirent la liberté à Villeroi, et l’échec qu’éprouva l’armée française à Vignamont, près de Huy, dans la campagne de 1705, attesta que c’était le favori qui a commandait. Ce revers n’était que le prélude du désastre dont il fut l’auteur dans la campagne suivante. Il était campé entre la Méhaigne et les sources de la Petite-Ghette. Son centre occupait Ramillies, village devenu si tristement fameux dans nos annales. Villeroi aurait pu éviter la bataille ; tous les officiers généraux le lui conseillaient, mais le désir insensé de rivaliser de gloire avec Villars, dont la renommée l’impor-VIL 501

tunait, lui fit dédaigner tous les conseils, et même toutes les mesures dictées par la prudence. Il avait laissé les bagages entre es lignes de son armée ; sa gauche était postée derrière un marais, comme s’il eût voulu l’empêcher d’aller à l’ennemi ; enfin toutes ses dispositions furent faites de manière qu’il n’y avait pas un homme doué de quelque expérience qui ne ût prédire l’issue de cette journée. Villeroi seul) se voyait déjà le front ceint de lauriers, mais il avait Marlborough pour adversaire, et ce grand capitaine n’avait eu besoin que d’un coup d’œil pour reconnaître que les Français étaient rangés en

bataille précisément comme il eût voulu les poster lui-même pour rendre leur valeur inutile. Certain que sa droite ne peut être attaquée, il la dégarnit pour fondre sur Ramillies avec des forces supérieures. Le lieutenant général Gassion qui remarque ce mouvement crie au maréchal : « Vous êtes perdu, si vous ne changez promptement votre ordre de bataille ; renforcez votre « centre des troupes de votre aile gauche, puisqu’elles ne peuvent vous être d’aucun service, « et rapprochez vos lignes. » Villeroi s’offensa de cet avis salutaire, et répondit qu’il était le maltre. Marlborough s’avance, et une demi-heure sutïit pour assurer son triomphe. 20,000 hommes tués ou pris, toute l’artillerie, tous les drapeaux, tous les bagages furent laissés sur le champ de bataille ; plus de douze places fortes du Brabant et de la Flandre, se voyant abandonnées in leur sort, se rendirent au vainqueur (presque sans résistance. Tels furent les résultats ’une journée (23 mai 1706) qui doit flétrir à jamais la mémoire d’un général non moins orgueilleux qu’inepte. Ouvrant enfin les yeux sur toutes les fautes qu’il avait commises, Villeroi consterné n’osait aire part à Louis XIV de la destruction de son armée et du renversement de toutes ses espérances : il resta cinq jours sans envoyer de courrier. Ses dépêches confirmèrent enfin les nouvelles sinistres qui arrivaient de toutes parts. L’auteur de tant de désastres parut bientôt après lui-même devant le monarque. On s’attendait à un éclat terrible du courroux d’un maître irrité : Louis XIV crut assez se punir lui-même d’un choix fatal en disant à son indigne protégé ces seules paroles : « Monsieur le maréchal, on n’est pas heureux à notre âge. » Depuis ce jour si funeste pour la France, et si humiliant pour lui-même, Villeroi cessa de paraître à la tète des armées. Déjà plus que sexagénaire, il chercha auprès du beau sexe des triomphes qui consolassent sa vanité blessée de tant de défaites au champ d’honneur. Sa liaison avec la belle et spirituelle marquise de Caylus, qui avait trente ans de moins que lui, était si publique, qu’il régnait chez elle comme s’il eût été le maître de la maison. Il était dans sa terre de Neuville, près de Lyon, en 1714, quand un mouvement (populaire, excité par les bouchers, à l’occasion ’un impôt sur la viande,