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quit à Grenoble, le 24 février 1709, d’une famille d’artisans honorés, et dont le chef était gantier. Son goût pour la mécanique se déclara dès sa plus tendre enfance. Sa mère, femme d’une piété sévère, ne lui permettait d’autre dissipation que celle de venir avec elle, le dimanche, chez des dames d’une dévotion égale à la sienne. Pendant leurs pieuses conversations, le jeune Vaucanson s’amusait il examiner, à travers les fentes d’une cloison, une horloge placée dans la chambre voisine. Il en étudiait le mouvement, s’occupait à en dessiner la structure et à découvrir le jeu des pièces dont il ne voyait qu’une partie. Cette idée le poursuivait partout. Enfin il saisit tout d’un coup le mécanisme de l’échappement qu’il cherchait depuis plusieurs mois. Dès ce moment, toutes ses idées se tournèrent vers la mécanique. Il fit en bois, et avec des instruments grossiers, une horloge qui marquait les heures assez exactement. Il composa, pour une chapelle d’enfant, de petits anges qui agitaient leurs ailes, des prêtres automates qui imitaient quelques fonctions ecclésiastiques. Le hasard fixa son séjour à Lyon. On y parlait alors de construire une machine hydraulique pour donner de l’eau à la ville. Vaucanson en imagina une qu’il n’osa proposer par modestie ; mais, arrivé à Paris, il vit avec une joie difficile à peindre que la machine de la Samaritaine était précisément celle qu’il avait imaginée à Lyon. S’apercevant de tout ce qui lui manquait de connaissances en anatomie, en musique, en mécanique, il employa plusieurs années à étudier ces sciences. Le flûteur des Tuileries lui fit naître l’idée d’une statue qui jouerait des airs, et imiterait les opérations d’un joueur de flute. Les reproches d’un oncle, qui traitait ce projet d’extravagance, en suspendirent l’exécution. Ce ne fut que trois ans plus tard que Vaucanson s’en occupa, pendant une longue maladie. Il y réussit au point que, sans correction, sans tâtonnement, la machine résulta de la combinaison des pièces qu’il avait fait exécuter à divers ouvriers, chargés séparément des différentes parties de l’automate. Aux premiers sons que le flûteur rendit, le domestique de Vaucanson, qui se tenait caché dans l’appartement, tombe aux genoux de son maître, qui lui paraît plus qu’un homme ; et tous deux s’embrassent en pleurant de joie. À cette machine succéda bientôt un automate qui jouait à la fois du tambourin et du galoubet. Enfin on vit deux canards qui barbotaient, allaient chercher le grain, le saisissaient dans l’ange et l’avalaient. Ce grain éprouvait dans leur estomac une espèce de trituration, et passait dans les intestins, suivant ainsi tous les degrés de la digestion animale. En 1740, Vaucanson résista aux offres du roi de Prusse, qui cherchait à rassembler dans ses États tous les hommes illustres dispersés en Europe. Peu de temps après, le cardinal de Fleury l’attacha à l’administration, en lui confiant l’inspection des manufactures de soie. Il ne tarda pas à perfectionner le moulin à organsiner[1]. Dans un voyage qu’il fit à Lyon, il se vit poursuivi à coups de pierres par des ouvriers en soie, parce qu’ils avaient ouï dire qu’il cherchait à simplifier les métiers. Il se vengea spirituellement de cette persécution. « Vous prétendez, dit-il à ces Vandales, que vous seuls êtes capables d’exécuter un dessin ? Eh bien! j’en chargerai un âne. » Il construisit en effet une machine avec laquelle un âne exécutait une étoile à fleurs. Il mit fin par là à une discussion où l’on faisait valoir auprès du gouvernement l’intelligence peu commune que devait avoir un ouvrier en étoffes de soie, dans la vue d’obtenir, en faveur de ces fabriques, quelques-uns des privilèges que l’ignorance accorde souvent à l’intrigue, sous le prétexte si commun et souvent si trompeur du bien public. La machine construite à cette occasion par ce grand artiste n’a pas été perdue, et on la peut voir au Conservatoire des arts et métiers, à Paris, avec une partie du dessin qu’elle exécutait ; et c’est encore dans cette galerie que se trouve le dépôt de modèles que Vaucanson lui légua. Établie d’abord rue de Charonne, cette précieuse collection fut mise après la mort de Vaucanson sous la direction de Vandermonde, Vaucansón s’occupait en secret d’une idée à l’exécution de laquelle Louis XV s’intéressait : c’était la construction d’un automate dans l’intérieur duquel devait s’opérer tout le mécanisme de la circulation du sang ; mais il fut dégoûté par les lenteurs qu’éprouva l’exécution des ordres du roi. Voltaire fit alors sur lui les vers suivants :

Le hardi Vaucanson, rival de Prométhée,
Semblait, de la nature imitant les ressorts,
Prendre le feu des cieux pour animer des corps.


  1. Il imagina des machines propres à donner à volonté de l’apprêt aux diverses espèces de soie, à rendre cet apprêt égal pour toutes les bobines ou tous les écheveaux d’un même travail, et pour toute la longueur du fil qui formait chaque bobine ou chaque écheveau. Il imagina de plus les instruments nécessaires pour exécuter avec régularité et ’une manière uniforme les différentes parties de ces machines. Ainsi une chaîne sans fin donnait le mouvement à son moulin à organsiner ; il inventa une machine pour former la chaîne de mailles toujours égales : elle est regardée comme un chef-d'œuvre. Il ne tendait qu’à donner aux mouvements des grandes machines cette précision et cette uniformité si nécessaires pour la régularité de leurs effets. Il voulait substituer dans ses moulins des pièces en bois à celles qu’il avait été obligé de mettre en fer, mais de manière que cette substitution ne nuisît pas à la perfection du travail. Il a donné, dans les Recueils l’Académie des sciences, dont il était membre, plusieurs mémoires sur son moulin à organsiner et la description de quelques autres mécanismes utiles aux arts. Il possédait à un degré très-rare le talent de décrire les machines avec clarté et précision. Il avait un coup d’œil sûr, et il s’exprimait avec sincérité : aussi se plaignait-on souvent de son jugement, on l’accusait même de partialité et d’envie.