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lui firent accomplir ce vœu si longtemps et si complètement oublié. Il s’arrêta fort peu à Genève, et alla trouver à Tubingen son ancien maître Volmar, pour qui il avait conservé beaucoup d’attachement. Il lui avait dédié, quelques mois auparavant, la première édition de ses poésies. Bèze fut nommé, l’année suivante, professeur de langue grecque à Lausanne. Il y passa près de dix ans, pendant lesquelles il publia quelques ouvrages qui étendirent sa réputation. Sa tragédie française d’Abraham sacrifiant fut traduite en latin et répandue partout. Pasquier dit qu’elle lui faisait tomber les larmes des yeux. Cet éloge étonnera beaucoup quiconque voudrait essayer de la lire à présent. Il fit imprimer, en 1556, sa version du Nouveau Testament, dont il donna depuis un grand nombre d’autres éditions, avec beaucoup de changements ; mais de tous les ouvrages de Bèze, pendant son séjour à Lausanne, le plus remarquable est, sans contredit, son petit traité intitulé : de Hæreticis a civili magistratu puniendis. C’est une apologie du jugement et du supplice de Servet, condamné au bûcher, comme hérétique, par les magistrats de Genève, le 17 octobre 1555. Dans un écrit publié à cette occasion par Séb. Castalio, peu de temps après la mort de Servet, on avait recherché s’il était juste, ou même avantageux, de punir de mort les hérétiques : Quo jure quove fructu hæretici gladio puniendi? C’est à cette dissertation que Bèze répond. Il plaide avec d’assez mauvais arguments la cause de l’intolérance ; mais il est curieux de voir comment il établit et soutient cette doctrine. Il parait qu’effrayés eux-mêmes du progrès que faisait l’esprit d’examen qu’ils avaient introduit dans les matières de religion, les réformateurs s’efforçaient, de tout leur pouvoir, de lui prescrire des bornes. Tout ce qu’ils n’avaient pas attaqué, ils voulaient qu’on le regardât comme inviolable. Élever une question nouvelle, c’était menacer l’Église et la religion d’une subversion totale, c’était détruire les choses indispensables au salut. Pour mettre la religion et l’Église à l’abri de cœ dangers, les princes et les magistrats ne pouvaient déployer assez de sévérité et de supplices contre les novateurs, parce qu’aucune entreprise ne trouble autant le repos des sociétés que l’hérésie et l’irréligion. Les exemples tirés de l’Écriture, les textes de St. Paul, les constitutions de quelques empereurs romains, sont cités pour établir les devoirs des puissances civiles contre les hérétiques, et Bèze en tourmente le sens pour qu’ils ne signifient que ce qu’il veut. Du reste, en remettant le glaive aux magistrats civils, en les pressant, au nom de Dieu et de la religion, de s’en servir contre les hérétiques et les amis des nouveautés, il fait de ces magistrats les instruments presque passifs des pasteurs et des théologiens. C’est à ceux-là qu’appartient le jugement de la doctrine ; en sorte que l’autorité temporelle a bien le droit de mort contre les hérétiques, mais elle ne peut l’exercer qu’après le jugement et sur la dénonciation des pasteurs. Telle est à peu près la substance du livre de Bèze. Le succès qu’il obtint alors, l’opinion de Melanchthon, et la déclaration des principales Églises de Suisse sur le supplice de Servet, attestent suffisamment que Bèze ne fit qu’exprimer les sentiments et la doctrine des hommes les plus importants de son parti. C’était en déguisant son nom, c’était avec des ménagements timides, et seulement sous l’apparence du doute, que l’auteur de la première dissertation avait parlé pour la tolérance, tandis que Bèze, en lui répondant avec hauteur et dureté, s’honorait d’attacher son nom à la défense des principes qu’il croyait incontestablement les plus justes et les plus conformes à l’intérêt de la religion. Ainsi, dès les premiers moments, les chefs des réformés refusèrent aux autres la liberté de discussion qu’ils réclamaient pour eux-mêmes. Ils appelèrent hérétiques et blasphémateurs tous ceux qui essayaient de porter plus loin qu’eux les entreprises contre les vérités reçues, et soutinrent fort bien que, si l’on ne s’arrêtait dans la route qu’ils avaient ouverte, la religion serait bientôt attaquée jusque dans ses premiers fondements. Il est possible que cette doctrine d’intolérance et la terreur des supplices aient retardé le mouvement donné alors vers toutes les innovations et préservé la religion de quelques-unes des entreprises qu’elle avait à redouter ; mais il n’en est pas moins vrai que cette conduite et cette doctrine manquaient encore plus de politique que de justice. Bèze fit un voyage, en 1&’i8, pour solliciter l’intercession de quelques princes d’Allemagne auprès du roi de France, en faveur des protestants de ce royaume, qui étaient alors vivement persécutés. L’année suivante, il quitta Lausanne pour venir s’établir à Genève, et y fut reçu bourgeois, à la sollicitation de Calvin. On cherchait dans cette petite république tous les moyens de perfectionner les études et de répandre le goût des sciences. Une académie venait d’être formée ; Calvin refusa le titre de recteur pour lui-même ; il voulut que Théodore de Bèze fût élu à cette place, et il s’engagea à se charger en même temps de l’enseignement de la théologie. À cette époque, les grands du royaume qui avaient embrassé la réforme, sentant qu’ils avaient besoin de l’appui d’un souverain, jetèrent les yeux sur Bèze pour convertir le roi de Navarre et conférer avec lui sur des choses importantes. Sa mission obtint un succès complet ; la réforme fut prêchée publiquement à Nérac, où résidaient Antoine de Bourbon et Jeanne de Navarre. Un temple y fut bâti, et l’esprit de prosélytisme, on pourrait dire d’intolérance, fut poussé à tel point que, dans le courant de l’année suivante, 1560, la reine de Navarre ordonna la démolition de toutes les églises et de tous les monastères de Nérac. Théodore demeura dans cette ville jusqu’au commencement de 1561, ou il fut appelé au colloque de Poissy. Cette conférence solennelle, dans laquelle on avait réuni les plus célèbres docteurs des deux communions, pour s’entendre et faire cesser les divisions, se termina sans produire aucun des heureux effets qu’on en attendait. On y montra des deux côtés peu de dispositions conciliantes, et Bèze, qui y joua un des principaux rôles, fut plutôt rhéteur que théologien. Ou-