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une statue d’Hégésarque et celle de Minerve Cranaea, en or et en ivoire, consacrée dans un temple prés d’Elatée.

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POLYCLÈTE, statuaire et architecte, connu chez les modernes sous la dénomination de Polyclète de Sicyone, et auteur de le statue colossale de Junon, en ivoire et en or, consacrée dans le temple de cette déesse, près de la ville d’Argos, a joui chez les anciens d’une célébrité égale à celle de Phidias et de Praxitèle. Cette dénomination de Polyclète de Sicyone tire son origine de ce mot de Pline, Polycletus Sicyanius, Ageladae discipulus. Il est plus que vraisemblable qu’il était natif d’Argos, ainsi qu’un second Polyclète, avec lequel on l’a souvent confondu. Les motifs sur lesquels nous établissons cette opinion équivalent à une véritable démonstration. Platon, qui était son contemporain, l’appelle, dans son dialogue intitulé Protagoras, Polyclète l’Argien. C’est ce que fait aussi Maxime de Tyr, qui dit expressément que la statue de Junon est un ouvrage de Polyclète d’Argos. Pausanias enfin nous dit que la statue d’Agénor de Thèbes, athlète qui avait remporté le prix à Olympie, dans la course des enfants. est l’ouvrage de Polyclète d’Argos, « non pas de celui qui a exécuté la statue de Junon, mais d’un autre » qui a été élève de Naucydès, preuve évidente qu’il a existé deux Polyclètes et que tous deux étaient natifs d’Argos. Mais la réputation de Polyclète dit de Sicyone a été si éclatante qu’elle a pour ainsi dire absorbé l’existence même du second Polyclète, dit vulgairement Polyclète d’Argos, quoique celui-ci paraisse avoir été un maître d’un très-grand talent (voy. l’article suivant). Pausanias est le seul entre les auteurs anciens qui ait distingué formellement deux Polyclète. Cicéron, Varron, Vitruve, Strabon, Quintilien, Plutarque, Lucien, Ælien, les poëtes de l’anththologie grecque, ne font mention que d’un seul. Pline, qui aurait dû apporter plus d’exactitude dans ses désignations, puisqu’il composait une histoire chronologique des artistes grecs n’a fait des deux maîtres qu’un seul individu, auquel il a attribué les ouvrages de l’un et de l’autre. Pausanias lui-même enfin ne les a pas assez fait distinguer lorsqu’il a parlé de leurs ouvrages ; c’est ce qui lui est arrivé notamment à l’occasion des statues de plusieurs athlètes, qu’il est impossible aujourd’hui de classer par les années de leurs victoires. Junius, Boullenger, Winckelmann, entraînés par de si graves autorités, n’ont pareillement reconnu que Polyclète de Sicyone, et lui ont attribué les ouvrages de Polyclète d’Argos, ce qui a brouillé toute la chronologie. L’illustre Heyne a distingué deux Polyclètes, mais, d’une part, il a fait Polyclète de Sicyone contemporain d’Hégias et d Agéladas ; de l’autre, trompé par un manuscrit de Pausanias, de la bibliothèque de Vienne, il a supposé que cet artiste était frère et élève de Naucydès, et, par suite de cette erreur, il lui a donné pour

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élèves Aristocle et Cannachus l’ancien, ce qui a augmenté la confusion et totalement renversé le tableau des progrès successifs de l’art (1)[1]. Polyclète, dit de Sicyone, que nous désignerons dorénavant par le seul nom de Polyclète, fut élève d’Agéladas, qui était natif d’Argos. Il naquit dans le 74e ou la 75e olympiade, vers les années 481 ou 480 avant J.-C, époque à laquelle Phidias et Myron, élèves d’Agéladas, comme lui, étaient âgés l’un et l’autre de seize à dix-huit ans (voy. PHIDIAS). Cette date se confirme non-seulement par l’âge connu d’Agéladas, mais encore par d’autres rapprochements. Premièrement, nous vouons dans le Protagoras de Platon qu’à l’époque où dut avoir lieu le colloque de Protagoras et de Socrate, Polyclète avait deux fils, jeunes encore, mais déjà connus comme sculpteurs, et du même âge que Xanthippe et Paralus, fils de Périclès ; or, le colloque de Socrate avec Protagoras a été placé par les savants à la quatrième année de la 89e olympiade ou à la première de la 90e. Si Polyclète, comme on doit le croire, était alors âgé de cinquante-cinq ans environ, il était né vers la première année de la 75e olympiade. Deuxièmement, Pline nous dit qu’on attribuait à Polyclète une statue d’Ephestion, mais que c’était une erreur ; que cette statue était de Lysippe, et qu’entre ce maître et Polyclète, il y avait un intervalle de près de cent ans : Cum is centum prope annis ante fuerit ; Lysippe exerçait son art dans la 102e olympiade et vivait encore dans la 114e ; ce fait est prouvé par la statue même d’Ephestion, puisque cet officier mourut la quatrième année de la 113e olympiade, et par d’autres témoignages. Si donc nous admettons que vers le commencement de la 102e olympiade, Lysippe fût âgé de vingt à vingt-quatre ans, ce qui parait hors de doute, il naquit environ soixante-deux ans après Polyclète, ainsi que le dit Pline : Centum prope annis, et cela prouve encore que Polyclète naquit vers l’an 480 avant J.-C. Il y a lieu de croire qu’il vivait encore dans la première ou deuxième année de la 94e olympiade, après le combat d’Ægos Potamos, qui eut lieu la quatrième année de la 93e ; car Pausanias dit que Polyclète d’Argos exécuta un des trépieds de bronze que les Spartiates consacrèrent dans le temple d’Apollon de la ville d’Amyklos, en mémoire de leur victoire. Cet écrivain, il est vrai, désigne l’auteur par la seule dénomination de Polyclète d’Argos ; mais il est peu vraisemblable que dans cette occasion il s’agisse du second, car celui-ci ne pouvait alors être âgé que de seize à dix-huit ans. Du reste, on ne voit pas figurer Polyclète parmi les artistes qui exécutèrent les statues des généraux victorieux placées à Delphes

  1. (1) L’auteur du présent article, dans son essai sur le classement chronologique des sculpteurs grecs, a cru devoir distinguer trois Polyclète. Son principal motif était le mot de Varron, qui disait que Polyclète faisait encore des statues carrées, et qui se ressemblaient toutes. Mais il n’a pas tardé à reconnaître son erreur.