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se plaint de l’uniformité des plans, de la monotonie des dialogues, et ne l’oubli des convenances théâtrales : il ne voit dans les vingt pièces de Plaute qu’un même canevas dramatique où reparaissent éternellement, sous divers noms, les mêmes personnages, une jeune courtisane, une vieille femme qui la vend, un jeune homme qui l’achète, un valet fourbe, un vieillard trompé, un soldat fanfaron, un parasite. Marmontel avoue que Plaute a plus souvent consulté le goût du peuple que celui des chevaliers romains ; mais « il n’y a qu’une voix, ajoute-t-il, sur la beauté de ses pièces : chez lui tout est plein d’action, de mouvement et de feu : son génie aisé, riche et fécond, ne laisse jamais languir le théâtre ; ses intrigues sont bien nouées et conformes à la qualité des acteurs ; ses incidents sont très-variés ; il a le talent de faire plus agir que parler. » Dans un examen judicieux du théâtre des Latins, M. Hoffmann a réfuté les observations critiques qui portent sur les aparte, sur les monologues, sur les apostrophes aux spectateurs ; il a montré que ces imperfections de l’art dramatique chez les anciens tenaient à leurs habitudes, à leurs mœurs et à la construction même de leurs théâtres ; une dissertation de M. Mazois sur cette construction est à lire avant de juger les comédies latines. Cependant il nous paraît difficile d’excuser toujours dans Plaute l’uniformité des plans, des personnages, des caractères : ce qu’il y aurait peut-être de plus plausible en sa faveur, c’est que les sujets de Térence ont encore moins de variété, et ses moyens dramatiques moins de souplesse ; qu’un même canevas se reproduit avec encore plus de monotonie dans les six pièces qui nous restent du dernier que dans les vingt de son prédécesseur. Celles-ci offrent des jeux de mots trop fréquents pour être toujours ingénieux, et la morale ni le bon goût ne peuvent tolérer ceux qui sont obscènes ; mais entre les saillies qui n’ont point ce dernier vice, il en est d’inattendues et de piquantes, d’assez heureuses enfin pour mériter de l’indulgence ou des éloges, quand elles conviennent au caractère et au ton du personnage qui les débite. On est souvent forcé d’admirer la dextérité de Plaute à manier une langue neuve et peu cultivée encore, le parti qu’il en sait tirer, les expressions vives et les tours énergiques dont il l’enrichit. D’inutiles prologues, des plans compliquées par de fatigants épisodes, d’interminables aparte, le long babil des personnages les plus pressés d’agir, voilà les défauts de ce poète, ou plutôt voilà l’extrême imperfection où il a trouvé et laissé l’art comique. Les poètes grecs Diphile, Démophile, Philémon et surtout, comme Horace l’a remarqué, le Sicilien Epicharme, lui fournissent des sujets ; pouvait-il échapper au danger d’emprunter quelquefois leurs travers ? On suppose, il est vrai, que dans les comédies latines qualifiés togatae il y avait des personnages romains ; mais aucune de ces pièces ne nous a été conservée ; et il paraît que Quintilien n’en faisait pas un très-grand cas. Plaute et Térence n’exposent jamais, du moins directement, les mœurs de Rome sur les théâtres de Rome ; ils ne nous montrent que des Grecs, et leurs allusions aux vices particuliers des Romains ne sont, quoi qu’on en ait dit, ni très-fréquentes ni très-sensibles. L’art comique est donc privé chez eux de sa plus grande puissance, il ne trace pas l’image de la société immédiatement observée. Vingt siècles après Plaute, la vraie comédie fut soudainement créée par Molière : ne comparons pas des essais timides à des chefs-d’œuvre ; il suffit pour apprécier Plaute, et même pour l’admirer, de se souvenir que Molière, dans l’Avare et dans l’Amphitryon, a daigné l’imiter de fort près, et quelquefois le traduire. Plaute avait laissé un très-grand nombre de pièces : on en comptait cent dix, et même cent trente au temps d’Aulu-Gelle, mais la plupart lui étaient mal à propos attribuées. Varron, après d’exactes recherches pour reconnaître les plus authentiques, en avait distingué vingt et une, qu’Aulu-Gelle nomme en conséquence Varroniennes. On a énoncé néanmoins d’autres nombres : Ælius, vingt-cinq ; Servius, trente et un ; et des savants modernes ont rédigé des catalogues où sont ajoutées aux vingt comédies de Plaute qui subsistent trente-cinq et même quarante pièces perdues. Entre celles-ci se place la Boeotie, que Varron croyait être véritablement de Plaute, quoiqu’on l’attribuât à Aquilius, et de laquelle Aulu-Gelle transcrit neuf vers qu’il déclare plautinissimes. Aulu-Gelle admet aussi comme authentiques la Nervolaria et la comédie intitulée Fretum. Que de plus il en existât une autre imitée du grec de Diphile sous le titre de Commorientes, Térence l’atteste dans le prologue des Adelphes. Mais plusieurs productions du poète comique Plautius avaient été appelées Plautianae, et, par une erreur qu’Aulu-Gelle remarque, attribuées à l’auteur qui nous occupe. On avait aussi attaché son nom à des ouvrages d’Aquilius, Altilius ou Acuticus. Ainsi, quoiqu’il eût probablement composé plus de vingt-quatre comédies, les quatre intitulées Commorientes, Fretum, Nervolaria et Boeotia, sont les seules qu’on puisse compter avec quelque sécurité après les vingt qui nous sont parvenues. Dans celles-ci même il se rencontre des lacunes que des latinistes modernes ont remplies par des morceaux et des scènes entières qu’il faut bien se garder de confondre avec le texte de Plaute. Laharpe s’y est laissé tromper : il a critiqué comme étant de Plaute l’acte cinquième de l’Aulularia, qui, à l’exception des vingt premiers vers, appartient à un auteur du 15e ou du 16e siècle, probablement à Urceus Codrus. Dans les endroits mêmes où il n’y a point de lacunes, le texte a subi des altérations : la preuve en est dans une soixantaine