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a retenu trop longtemps à Jersey et Guernesey, beaucoup d’officiers qui s’étaient destinés pour les armées de la Vendée et de la Bretagne, où il y en avait très peu de capables d’instruire cette espèce d’hommes si courageux, à se servir de leurs armes, à les aguerrir si promptement et à mettre de l’ordre dans les mouvements de leurs divers corps. Toutes ces circonstances ont fait douter de l’appui sincère des puissances coalisées. Un événement inattendu mit le découragement à son comble parmi les royalistes qui, quoique dispersés, agissaient partout, et dissipa une armée formée à Caen, sous la dénomination d’armée du Calvados, qui était déjà parvenue à Vernon, à vingt lieues de Paris, en août 1793, ce fut la conquête des villes du Hainault au nom de l’empereur. Cette formalité a inquiété tous les Français, procuré aux républicains un véhicule dont ils se sont servis pour inspirer de l’animosité aux troupes, qui ne se souciaient pas de se battre pour eux… J’ai été témoin de la sensation que cette prise de possession a causée aux armées de la Vendée, dont je suis un des créateurs, et ce n’a pas été sans peine que je suis parvenu à persuader que c’était une pure formalité, qui n’avait d’autres but que d’encourager les troupes autrichiennes. » Les craintes des royalistes n’étaient que trop fondées, et la suite des événements l’a assez démontré ; mais le comte de Thieffries avait grand tort d’adresser son mémoire à Thugut qui, bien qu’il ait été considiré longtemps comme ennemi de la révolution, ne la combattit pas toujours avec franchise (Voy. Thugut, XLV, 573). Il lut cependant exactement ce mémoire, et fit compliment au comte de son zèle pour la bonne cause ; mais il ne changea rien au machiavélisme de sa diplomatie. Quant au comte de Thieffries, las de parler à des sourds en Allemagne, il revint en France, ce qui était alors fort dangereux pour un émigré, et pour lui plus particulièrement, par la raison que, tous ses biens étant vendus, il fallait pour rassurer les acquéreurs qu’ils n’eussent rien à craindre des propriétaires, et, pour cela, on faisait impitoyablement fusiller tous ceux que l’on pouvait atteindre. C’était le moyen qu’avaient adopté les pentarques du directoire, et ils avaient, en conséquence, créé des commissions auxquelles il suffisait de constater l’identité et l’inscription sur la fatale liste. Thieffries courut donc encore une fois de-très grands dangers, et il parvint à s’y soustraire avec autant de bonheur que de courage. Il parvint même à rejoindre les Vendéens, qui vers la fin de l’année 1799, furent près de réunir de grandes forces et d’anéantir la république ébranlée par les victoires de la troisième coalition. Le comte de Thieffries eut, une grande part à ce mouvement. Mais la révolution du 18 brumaire vint bientôt donner à la politique de cette époque une autre direction. Thieffries revint à Paris et, grâce aux adoucissements que le nouveau gouvernement apporta aux lois de l’émigration, il put y vivre en paix jusqu’en 1810, époque à laquelle il se rendit à Vienne et où il chercha à lier quelques nouvelles intrigues dans l’intérêt des Bourbons. L’ambassadeur de France qui en fut informé, demanda son expulsion à plusieurs