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logie. On lit dans les mémoires du temps que le nombre de ses auditeurs s’élevait à plus de 3,000, et que dans ce nombre il y en avait de tous les âges et de toutes les nations. C’est de cette ecole que sont sortis plusieurs docteurs célèbres dans l’église, tels que Guy-du-Chatel, depuis cardinal, et pape sous le nom de Celestin II ; Pierre Lombard, évèque de Paris ; Gaudefroy, évèque d’Auxerre ; Berenger, évèque de Poitiers, et saint Bernard lui-même. La mëtliode qu’employait Abailard dans ses leçons mérite que nous en fassions mention. Il commençait par faire l’éloge de la science, et la censure de ceux qui, suivant les préjugés d’une certaine classe d’hommes de ce temps-là, regardaient l’ignorance comme un titre de noblesse ; puis il donnait des leçons de logique, de métaphysique, de physique, de mathématiques, d’astronomie, de morale et enfin de théologie. Il lisait à ses élèves des extraits de tous les anciens philosophes grecs et romains, en les invitant à ne s’attacher à aucun en particulier, mais à la vérité seulement, ou plutôt à Dieu, source de toute vérité. Enfin, il expliquait les Saintes Écritures dont il était le plus savant et le plus éloquent interprète de son temps. C’est ainsi qu’il devint le maìtre des maîtres, l’oracle de la philosophie, et le docteur à la mode. Cela ne doit pas étonner ; il était le seul qui, dans ce siècle de subtilités scolasliques, joignît la science du philosophe et les talents de l’homme de lettres aux agréments de l’homme du monde. Il fut aimé des femmes, autant qu’il était admiré des hommes. Dans ce temps-là vivait à Paris une jeune demoiselle, nommé Louise, eu Héloïse, âgée de 17 ans, nièce de Fulbert, chanoine de Paris ; peu de femmes la surpassaient en beauté, aucune ne l’égalait en esprit et en connaissances de tout genre ; on n’en parlait qu’avec enthousiasme. Abailard voulut connaître ce prodige. Il avait alors 39 ans. Ce n’était plus l’âge des passions. Cependant celle qu’il prit pour Héloise fut portée à un tel excès qu’il oublia pour elle ses devoirs, ses leçons, et jusqu’à la célébrité dont il était si avide. Héloïse ne fut pas moins sensible à son mérite. Sous prétexte d’achever son éducation, Abailard obtint de Fulbert la permission de la voir souvent ; et pour la voir plus souvent, il se mit en pension chez son oncle. Ces heureux amants vécurent ainsi plusieurs mois, s’occupant plus de leur passion que de leurs études (et comme dit Abailard dans une de ses lettres : « Plura erant oscula quàm sententiæ, sæpiùs ad sinum quàm ad libros deducebantur manus. ») Mais ce commerce secret et dangereux transpira et devint bientôt public. Abailard faisait, à la louange de sa maitresse et sous des noms empruntés, des chansons dont on le nommait publiquement l’auteur, et qu’il chantait avec beaucoup de goût. C’est Héloise elle-même qui nous apprend cette particularité : « Parmi les qualités qui brillaient en vous, écrivait-elle longtemps après, il y en avait deux qui me touchaient plus que les autres : savoir les grâces de votre poésie et la douceur de votre chant ; toute autre femme n’en aurait pas moins été touchée. Lorsque, pour vous délasser de vos exercices philosophiques, vous composiez en mesure simple ou en rime, des poésies amoureuses, tout le monde voulait les chanter, à cause de la douceur de votre expression et de celle du chant. Les plus insensi-