Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1811 - Tome 1.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religieux, etc., qui ne peuvent appartenir à la Biographie, et les personnages fabuleux, dont la bizarre association aux personnages réels implique étrangement contradiction, dans un Dictionnaire historique ou biographique des hommes célèbres, puisque ce ne sont point des hommes, puisqu’ils n’ont point vécu, puisqu’ils n’appartiennent point à l’histoire. Si d’ailleurs les êtres fantastiques, éclos du cerveau des poètes anciens, ont dû entrer dans une Biographie, de quel droit en a-t-on exclu les êtres chimériques, enfantés par l’imagination des poètes, des chroniqueurs et des romanciers du moyen âge ? Nous avons laissé les uns et les autres dans les Dictionnaires mythologiques, rédigés par deux de nos collaborateurs, MM. Noël et Millin, et nous nous sommes fait une loi de n’admettre aucun des noms qui se trouvent dans ces deux ouvrages.

« Sans l’Histoire littéraire, a dit Bacon, l’Histoire de l’univers ressemblerait à la statue de Polyphème dont on aurait arraché l’œil : il manquerait à l’image la partie où se peignent à mieux l’esprit et le caractère de la personne[1]. » Nous nous sommes beaucoup occupés de la partie politique, défigurée et tronquée dans les autres Dictionnaires ; mais nous avons donné en même temps les plus grands soins à l’histoire littéraire, et par-là nous entendons l’histoire des sciences, des lettres et des arts. La vie de ceux qui s’y sont illustrés est presque toute entière dans leurs travaux : serait-ce écrire la vie de Newton, de Racine et de Raphaël, que de marquer seulement l’époque et le lieu de leur naissance et de leur mort, et de raconter quelques incidents d’une vie sédentaire, que surpasseront toujours en nombre, en éclat et en intérêt les aventures du moindre personnage qui aura suppléé à l’activité de l’esprit par celle du corps ? Connaîtrait-on ces grands hommes, si l’on ne connaissait les ouvrages qui les ont immortalisés ? Loin de nous cependant la ridicule pensée que, dans les bornes étroites où le plus grand personnage devait être resserré, nous ayons réussi à renfermer une analyse ou une description complète de ces chefs-d’œuvre du génie. Mais du moins nous croyons pouvoir nous rendre cette justice, que nous en avons donné un aperçu exact, et que nous en avons porté des jugements réfléchis, exprimés en traits précis et caractéristiques. Nous avons abandonné les phrases vagues et banales à ceux qui, ne connaissant point les objets, ont l’étrange audace d’en parler. Ce sont là des avantages que nous devons à ce

  1. « Historia mundi, si hac parte (Historia litterarum) fuerit destituta, non absimilis censeri possit statuae Polyphemi, eruto oculo ; cum ea pars imaginis desit, quae ingenium et indolem personae maxime referat. » Bacon, de Augmentis Scientiarum, lib. 2, cap. 4.