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CHEZ LAVOISIER

sentés par les combinaisons et décompositions des réactifs mis en présence, qu’il renoncerait vite à son projet, qu’il attendrait du moins pour le reprendre d’être en possession d’une bonne classification des réactions effectuées dans les circonstances les plus diverses.

En un mot, comme Lavoisier lui-même, il serait obligé de s’appuyer partiellement sur les connaissances imparfaites que des siècles de recherches sérieuses ont permis d’accumuler et d’ordonner avec plus ou moins de bonheur. Quelles que soient ses intentions novatrices ou révolutionnaires ; il puiserait dans l’acquis obtenu par les efforts de ses prédécesseurs une grande partie des matériaux de sa nouvelle construction, il vérifierait la solidité des pierres qu’il va cimenter à nouveau, il les utiliserait mieux qu’on ne l’avait fait avant lui. Une fois le monument achevé il aura tendance il est vrai à sous-estimer l’héritage qu’il aura pourtant reçu gratuitement ; ses admirateurs et ses continuateurs riront du travail des ancêtres fossiles qu’ils ne se donneront plus la peine de comprendre et qu’ils qualifieront d’absurdes. Et certes, cette sorte d’ingratitude n’aura peut-être pas d’inconvénient pour le progrès de la science qui se fait. Un chimiste absorbé dans sa besogne quotidienne estime qu’il ne lui servira à rien d’examiner les « erreurs » ou s’il est indulgent les « approximations dépassées » et périmées des siècles précédents. Il a sans doute ses raisons et nous ne nous risquerons pas à discuter avec lui… Mais pour le psychologue, l’épistémologue et le philosophe qui étudient de divers points de vue la théorie de la connaissance scientifique il ne saurait en être ainsi ; ces penseurs ont besoin de reconstituer le travail effectif des constructeurs ; pour le but qu’ils poursuivent, une histoire des sciences qui n’aurait qu’une valeur heuristique risquerait de fausser leurs conclusions aussi judicieuses qu’elles soient. C’est pourquoi nous allons examiner très brièvement les questions suivantes qui sont d’ailleurs inséparables : Quelles parties du savoir contemporain Lavoisier accepta-t-il comme allant de soi et faisant partie du patrimoine anonyme de la chimie ? Quelles affirmations de la doctrine contemporaine Lavoisier modifia-t-il en les prenant pour modèles ?


Nous ne pouvons ici insister sur les apports successifs des chercheurs qui au cours du xviie et du xviiie siècle ont fait progresser la chimie ; nous ne pouvons parler des aspirations métaphysiques de quelques chimistes — même de quelques grands chimistes —