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LA PHILOSOPHIE DE LA MATIÈRE

qu’un métal se calcine il laisse bien échapper ce principe phlogistique ou combustible, mais la diminution de poids qui en résulte est masquée parce que l’air absorbé pèse beaucoup plus que le phlogistique évaporé. Jusqu’à Lavoisier, la calcination des métaux fut assimilée à un phénomène de substitution qui remplace le phlogistique par de l’air ; mais l’acte essentiel de brûler était une décomposition.

Or serait-ce cette augmentation de poids, cette absorption d’air qui serait la vraie caractéristique de la combustion ? Pour le soufre, comme pour le phosphore, comme pour bien d’autres corps, l’augmentation de poids et l’absorption d’air sont amplement vérifiées. Lavoisier n’hésite pas à tirer toutes les conséquences de ces constatations. Dès lors, la combustibilité qui pour les anciens chimistes et le sens commun résidait essentiellement dans le corps combustible se trouve rejetée hors de ce corps, dans l’air comburant environnant. Et cette prétendue évidence de sens commun est attaquée, démontrée erronée par une autre évidence du sens commun, support, il est important de le remarquer, de la physique générale aussi bien que des rapports les plus usuels et les plus journaliers entre commerçants et clients. Je sais bien que l’histoire de cette lutte entre deux évidences de sens commun fut effectivement plus compliquée et moins claire que ne l’indique le schéma ci-dessus ; je n’ignore pas que certains chimistes, notamment plusieurs membres de l’académie de Dijon voyant que deux affirmations de sens commun se révélaient tout à coup incompatibles, et ne pouvaient donc être vraies à la fois, ont voulu sacrifier la constance de la masse mesurée à la balance en attribuant au phlogistique un principe de légèreté qui lui aurait permis de diminuer le poids de la substance à laquelle il s’ajoute. Cependant si je n’insiste pas, c’est que à mon avis, l’importance historique du poids négatif du phlogistique a été démesurément agrandie par les historiens de la chimie ; car au nom de la raison universelle aussi bien que du Newtonianisme bien compris, le phlogistique source de légèreté a été repoussé avec indignation par des auteurs dont la postérité à juste raison n’a pas retenu le nom, attendu que au cours de leur polémique judicieuse ils n’ont rien ajouté à la science qui se fait.

Lavoisier, (je n’ai pas à insister là-dessus dans cet opuscule) a donc utilisé la constance de la masse comme un argument polémique sûr et efficace, qui prenait l’opinion d’adversaires en flagrant délit