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CHEZ LAVOISIER

réalité. — Répétons d’abord avec lui que l’identification de la quantité de matière et de son poids mesuré à la balance est une notion de sens commun dont Lucien dans l’antiquité, Nicolas de Cusa, Van Belmont, Boyle, Lemery et bien d’autres dans les temps modernes, Black à l’époque contemporaine avaient fait accidentellement et judicieusement bon usage. Ajoutons, toujours en suivant Émile Meyerson, que cette notion de sens commun avait parfois été troublée chez les savants et philosophes par des spéculations concernant l’astronomie ou le système cosmologique, par la confusion spontanée au cours de longs développements entre la pesanteur spécifique et la pesanteur absolue, par la confusion sans cesse renaissante aussi entre ce que les physiciens ont appelé le poids et la masse, enfin par certaines théories vitalistes qui attribuaient à l’âme (des animaux et des métaux) un principe de légèreté.

Mais ces difficultés, il faut bien le remarquer, n’existaient que dans les pensées compliquées ou les doctrines élaborées. Or il est un fait que l’on doit sans cesse rappeler, c’est que sur le problème qui nous occupe comme sur bien d’autres, le système du monde newtonien a renforcé, justifié et réhabilité les données immédiates du sens commun.

À la fin du xviiie siècle, tous les chimistes, quand ils usaient de la balance pour des vérifications quantitatives, admettaient avec Lavoisier que la matière conserve sa masse, quelles que soient les réactions chimiques qui modifient son aspect et ses propriétés.

La pesée (ou si l’on veut parler avec précision une série de pesées) a une valeur théorique énorme parce qu’elle révèle un invariant ; la constance de la quantité de matière dans un milieu limité et isolé limite dans bien des cas la possibilité d’hypothèses, élimine un grand nombre de suppositions erronées. Contrairement à ce que l’on supposait autrefois, Lavoisier découvrit en 1772 que le soufre et le phosphore augmentent de poids lorsqu’ils brûlent. Les métaux, on le savait depuis longtemps augmentent de poids lorsqu’on les calcine, et la calcination des métaux est une combustion ; l’on savait avant Lavoisier, et le P. Beraud eut la gloire de soutenir cette thèse, que la dite augmentation de poids est due a l’adjonction d’air dans la substance du métal… Pourtant l’on savait aussi, et c’est une donnée immédiate du sens commun que tout corps brûlé perd la propriété d’être combustible, perd donc concluait-on spontanément la substance ou l’élément porteur de cette propriété. Lors donc