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CHEZ LAVOISIER

Enfin le corps simple existe-t-il ? On a pu en douter et durant tout le xviiie siècle ceux qui narguaient la chimie l’ont demandé avec complaisance, car enfin il faut savoir si l’analyse chimique permet véritablement de découvrir les ingrédiens contenus dans les corps mixtes. En d’autres termes en modifiant la texture de la matière l’analyse crée-t-elle artificieusement de nouvelles substances ? À cette question les disciples de Van Helmont, de Boyle de Descartes étaient tentés de répondre « oui », car pour eux, une seule matière, eau, substance étendue, ou corpuscules, existe véritablement ; les spécifications des diverses substances étant dues à des modifications de cette matière unique, soit par des ferments spirituels, soit par des mouvements tourbillonnaires, soit par des groupements d’atomes, donnant par leurs variétés sans nombre tous les corps que la chimie rencontre en ce monde.

Robert Boyle visant, il est vrai les éléments des péripatéticiens ou des paracelsistes a posé dans le chimiste sceptique le problème de l’existence des corps simples. « Une considération sur laquelle je désire attirer l’attention écrit-il est celle-ci : qu’il n’est pas sûr ainsi que les chimistes et les péripatéticiens l’ont avancé que chaque substance homogène ou distincte séparée d’un corps à l’aide du feu préexistait dans ce corps comme principe ou élément. »[1] Y a-t-il eu décomposition ou transformation ? Dans ce dernier cas, il se pourrait que les divisions provoquées par les réactifs violents soient très différentes de celles obtenues par le feu : combustions ou distillations, acides ou autres corrosifs donnant par leur violence naissance à des produits sans aucun rapport les uns avec les autres ou avec la substance décomposée. Boyle ne résout pas l’interrogation extrêmement grave qu’il a posée ; constatons que si toutes les expériences nous contraignaient à répondre que le corps simple n’est qu’un mythe, la chimie aurait été sans instrument efficace pour rendre compte d’une manière satisfaisante des réactions matérielles ; et certes, il en a été longtemps ainsi ; tant que l’analyse chimique qui portait autrefois presque uniquement sur les plantes et autres corps organiques s’arrêta aux produits mal délimités : huiles, graisses eaux de vie, résidus de distillations, phlegmes ou eau chargée de corps dissous, etc., elle ne put obtenir de succès éclatant. Mais bientôt elle se consacra à l’étude des substances minérales et elle

  1. (1) Voir : Les doctrines chimiques, p. 259.