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LA PHILOSOPHIE DE LA MATIÈRE

décomposition étaient contenus et seuls contenus dans la substance primitive, il faut que l’expérience de laboratoire soit irréprochable de tous points, que ses résultats soient constants et ne prêtent pas à discussion ; sans quoi un concept précis aussi bien délimité que l’on voudra serait stérile et inutilisable. Or, il a été observé bien des fois que la définition du corps simple de Lavoisier n’était pas rigoureusement nouvelle ; on a cité avec un certain étonnement des phrases de maints chimistes d’antan qui s’exprimaient comme lui tout en ne pensant pas comme lui, mais qui affirmaient tout de même que leurs éléments ou principes premiers, définis il est vrai a priori n’ont droit au nom d’éléments ou de principes que parce qu’ils résistent victorieusement à toute tentative nouvelle de décomposition[1] ; chez ces chercheurs la notion de corps simple resta purement métaphysique ou mentale et ne contribua pas à perfectionner la connaissance des réactions matérielles. On a cité d’autre part les déclarations de certains chimistes qui avec Boyle, ou Hartsoeker insistèrent sur le fait bien connu que l’analyse pratique est impuissante à séparer les ingrédients que l’analyse théorique affirme être contenus en bien des corps ; l’or pour ne citer qu’un exemple est inaltérable, et malgré les assauts de tous les réactifs reste constamment de l’or. Mais peut-être sommes-nous tentés d’attacher trop d’importance à des pressentiments épisodiques, que nous pouvons admirer parce que nous connaissons la science d’aujourd’hui, mais qui n’eurent pas grande influence sur le développement de la science de leur temps. Les historiens ont une fâcheuse tendance à créer des précurseurs aux grands hommes, non pas certes ex nihilo mais avec des phrases, des fragments de systématisation, des essais assez vagues dus à leurs prédécesseurs lointains et que l’on peut sans trop de difficulté accorder avec les trouvailles de ces dits grands hommes.

Sans nous livrer à cette tendance, constatons que les chimistes d’autrefois qui analysaient mentalement les corps chimiquement indécomposables savaient bien avant Lavoisier que la pensée théorique et l’expérience de laboratoire aboutissent le plus souvent à des conclusions hétérogènes et disparates[2].

  1. DUHEM : Les mixtes et la composition chimique, Paris 1902, in-8.
  2. De là une distinction entre les principes élémentaires ou principiants voulus par la théorie et les principes prochains ou principiés atteints par l’analyse chimique.