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CHEZ LAVOISIER

dits simples. Tels corps simples en se combinant produisent tel corps complexe.

Rappelons que la philosophie de Condillac considérait l’analyse exacte et correcte comme le principal instrument des progrès de la pensée et de la science ; constatons maintenant sans étonnement que l’analyse chimique scrupuleusement complète et précise, ne laissant échapper la plus petite quantité de matière et poursuivant son travail aussi loin que ses procédés en perfectionnement continue lui permettent d’aller, est le principal instrument à la fois expérimental et théorique de Lavoisier. Laissons-lui donc la parole.

« La chimie, en soumettant à des expériences les différents corps de la nature a pour objet de les décomposer et de se mettre en état d’examiner séparément les différentes substances qui entrent dans leur combinaison. Les découvertes modernes ont encore reculé de plusieurs degrés les bornes de l’analyse. La chimie marche donc vers son but et vers sa perfection en divisant, subdivisant, et resubdivisant encore, et nous ignorons que] sera le terme de ses succès. Nous ne pouvons donc pas assurer que ce que nous regardons comme simple aujourd’hui le soit en effet : tout ce que nous pouvons dire, c’est que telle substance est le terme actuel auquel arrive l’analyse chimique, et qu’elle ne peut plus se subdiviser au delà, dans l’état actuel de nos connaissances »[1].

Ces déclarations d’une netteté et d’une précision qui ne laissent rien à désirer satisfont pleinement la pensée contemplative et critique ; le chimiste moderne qui avec Lavoisier répudie[2] les exigences a priori et actuellement injustifiées des anciennes métaphysiques pesant encore sur la science, croit avoir trouvé enfin un critère de vérité ; et certes, c’est une grande chose d’avoir pris conscience de la différence entre l’élément a priori résultant d’une analyse mentale et du corps indécomposable isolé au laboratoire par un chimiste scrupuleux, capable de fixer la limite du savoir et de l’ignorance.

Pour fixer à coup sur cette limite du savoir et de l’ignorance pour assurer indubitablement que telle substance a été effectivement décomposée, que les corps tangibles et isolés qui résultent de cette

  1. Vol. 1, p. 193 et 194.
  2. Nous avertissons là qu’il faut prendre garde de ne pas confondre la métaphysique du philosophe qui veut être un corps de doctrine dont il est loisible d’admirer l’architecture avec la pensée contemplative qui est une attitude de l’âme.