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CHEZ LAVOISIER

anciens « avant qu’on eût les premières notions de la physique expérimentale et de la chimie », et ne posera pas d’autres questions que celles qui dérivent de son propre développement. Tel est du moins le programme que la chimie doit tenter de remplir si elle veut continuer ses progrès.

Dans la nouvelle chimie tous les problèmes sont solidaires et doivent être abordés en bloc ; la théorie et la nomenclature ne se réservent désormais aucun plan transcendant sur lequel le maître doit péniblement hisser l’étudiant avant de lui montrer les réactions matérielles, objet final de la science… Le débutant doit immédiatement entrer au laboratoire car doctrine et expérience sont situées au même niveau ; Lavoisier s’est fait une loi « de ne procéder jamais que du connu à l’inconnu, de ne déduire aucune conséquence qui ne dérive immédiatement des expériences et des observations, et d’enchaîner les faits et les vérités chimiques dans l’ordre le plus propre à en faciliter l’intelligence »…

Dans quelle mesure put-il remplir cet ambitieux et peut-être en toute rigueur chimérique programme ? Déclarons nettement après un sérieux examen que le « connu » dont il part n’est ni un ensemble de postulats métaphysiques posés a priori pour l’éternité et dont les conséquences se déroulent ou se déduisent dans l’esprit du chimiste suivant une nécessité implacable et paisible ; ni le monde usuel du sens commun avec ses intuitions vagues, ses jugements peu élaborés, ses décrets arbitraires et difficilement conciliables. Bien que le traité élémentaire de chimie soit fort clair et accessible sans trop d’effort, Lavoisier nous invite à explorer ce que l’on pourrait appeler une « zone intermédiaire », à nous y attarder même car c’est dans cette zone intermédiaire où la logique et l’expérience, la déduction et l’induction se réunissent, se confrontant, et se combinent de diverses façons que s’élabore tout le travail qui nous mènera à la conquête des corps et des réactions que la chimie étudie.[1]

  1. Remarquons que si la pensée active se meut spontanément et progresse dans la « zone intermédiaire » où se heurtent constamment concepts indéterminés, hypothèses en formation, doctrines encore fluides, interprétations d’expériences et projets d’expérience, la pensée contemplative qui désire la jouissance de la perfection, de la logique impeccable, comme de l’harmonie esthétique ne saurait être satisfaite ; elle critique les points faibles des nouvelles constructions ; et certes elle est punie de son pédantisme par une sorte de stérilité ; elle ne crée rien et elle est mécontente de tout. Cependant les