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finitive, car autant vain, après tout, que soient supprimées matériellement des générations destinées à être moralement sacrifiées : la vraie civilisation renaîtra de quelques couples par miracle préservés de l’universelle contagion). Il en sera des Chinois comme des Français et, bientôt, de tous les peuples de la terre, puisqu’il semble qu’aucun d’eux ne doive échapper à l’abominable Mal démocratique : ils subiront la domination de gens qui, dans une société bien faite, auraient rang de laquais, et ce sera partout l’apothéose de la médiocrité, tant que les choses ne rentreront pas dans l’ordre.

Balzac et Banville étaient donc bien mal inspirés en nous donnant les Chinois pour modèles. Mais leur pensée n’en était pas moins juste et belle, qui rejoint la conception grecque du gouvernement par les philosophes (frères des poètes et parents éloignés des savants) et la pratique médiévale du gouvernement par les clercs. Je voudrais que ce fût le lieu et le moment de démontrer combien il serait logique et expédient, dans l’intérêt commun, d’attribuer l’exercice du pouvoir et l’élaboration des lois aux maîtres de la littérature — sans distinction de sexes, du reste. Et c’est bien le lieu, puisque j’écris au Mercure, et c’est bien le moment, puisque l’auteur du Pauvre Pécheur et des Pas sur la Terre vient d’être nommé Président du Conseil municipal ; mais il me faudrait trop de temps et de pages…

Je commencerais-par faire justice de cette erreur, assez communément préférée à la vérité, que la politique et les idées générales « n’ont rien à voir ensemble » — comme on parle aujourd’hui — quand il paraît clair que justement la politique est, par excellence dans l’ordre des faits, la réalisation des idées générales, comme la littérature dans l’ordre spirituel. Je ne trouve, du reste, pas du tout surprenant que nos maîtres actuels refusent de reconnaître les droits de l’intelligence ; ils ont leurs raisons. Mais ce n’est pas dans la politique seulement qu’on prétendit nous imposer la tyrannie des faits particuliers, de la circonstance, des détails, de l’accident, et ce n’est pas de tout à l’heure. Le bon Coppée, qu’il ne faut ni méconnaître ni s’exagérer, me disait, à propos de poésie : « Le temps des idées générales est passé. » Or, nous le voyons assez nettement, c’est le temps du bon Coppée qui est passé, mais celui des idées générales — continue ! A vrai dire, elles connurent