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volumes qu’il m’a fallu absorber pour mes deux bonshommes : À plus de 1500 ! Mon dossier de notes a huit pouces de hauteur, et tout cela ou rien, c’est la même chose. Mais cette surabondance de documents m’a permis de n’être pas pédant ; de cela, j’en suis sûr[1]. »

Mais ces prémisses étant admises — et elles sont d’autant plus admissibles que l’opinion de M. René Descharmes se trouve en parfait accord avec les dires d’Edmond Laporte, si intimement mêlé, comme on sait, aux dernières années de Flaubert et à la préparation de Bouvard et Pécuchet, — le doute n’en reste pas moins sur l’intention secrète de l’auteur. Dans quel esprit ses deux héros vont-ils se mettre à copier, et pourquoi, — non content de nous dire leur retour aux chères habitudes de leur vie passée après les déboires de l’heure présente, — ajoute-t-il à son roman cette manière de post-criptum ? Il semble assez inutile en apparence, puisque le fait que Bouvard et Pécuchet reprennent la plume est déjà par lui-même une conclusion.

Il y avait donc pour Flaubert grand intérêt à faire connaître ce qui allait sortir de leur écritoire. N’était-ce point le trait définitif ajouté au portrait des deux scribes, et précisant leur caractère ? — C’est la question que je veux tenter d’élucider ici.

Elle se pose de deux façons : Flaubert a-t-il fait acquérir à ses deux héros le pouvoir de discerner la bêtise, au point de la rechercher par passe-temps et par plaisir, dans les livres, et de trouver dans la copie des sottises qu’ils y rencontrent une délectation morose ? — ou bien, au contraire, Bouvard et Pécuchet copient-ils naïvement au hasard, tous les passages qui retiennent plus, spécialement leur attention, et ces passages se trouvent-ils être toujours des absurdités ?

La seconde hypothèse est, en vérité, bien peu satisfaisante.

Tout d’abord, il faut remarquer que, dans l’un et l’autre cas, la copie de Bouvard et Pécuchet ne peut former à elle seule toute la matière d’un volume.

Pas plus une suite de définitions d’ « idées reçues » toutes sèches et sans commentaires qu’une kyrielle de « bourdes » n’eût été d’une lecture possible. Avant la dixième page, le lecteur le mieux disposé et le plus bénévole s’en fût rebuté. Ces

  1. Correspondance, IV, p. 410.