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tant peu à peu ; alors un premier cri d’oiseau se faisait de nouveau entendre, auquel un autre cri plus lointain répondait ; et on voyait, debout contre le tronc d’un pin, un petit pic, gris de plumage, dont la tête seule bougeait.

Il lui fallut passer le ruisseau à gué, bien qu’il fût énormément grossi par les neiges qui fondaient encore dans la haute montagne, mais il ne manquait heureusement pas de pierres où poser le pied. Et, prudente et précautionneuse en cela comme en toute chose, ayant troussé sa jupe et le bras levé pour faire équilibre, elle arriva sur l’autre bord.

La pente, cependant, avait commencé à faiblir. Marie sortit de la forêt. Là venait ce palier qu’on a vu, et son premier étonnement fut de ne rencontrer personne. Pourtant, c’est un endroit assez fréquenté dans la belle saison, à cause que les gens du village viennent y faucher l’herbe, et même plusieurs y ont des fenils. N’importe, tout était désert, et les fenils étaient fermés. Tout à coup des cris se firent entendre ; elle leva la tête, une troupe de corbeaux parut. Ils allaient bien plus vite qu’elle… A peine le vol s’était-il montré qu’il parvenait déjà à l’autre bord du ciel, et, se laissant tomber à pic, il s’enfonça derrière les arbres. Elle se disait : « C’est drôle, c’est seulement l’hiver que les corbeaux viennent au village », et elle n’en avait jamais vu un si grand nombre à la fois. Ils avaient jeté une ombre en passant, comme aurait pu faire un nuage, et ils criaient tellement fort que, pendant un instant, tous les autres bruits s’étaient tus. Mais quelques pas plus loin sa surprise allait être plus grande encore : au lieu des nouveaux bois qu’elle pensait trouver, il m’y avait plus devant elle que comme quand on est venu avec toute une équipe d’hommes, des cordes, des scies, des haches ; plus un arbre n’était débout.

Les uns étaient tombés tout à fait ; d’autres penchaient tristement de côté et leurs racines, sortant de terre, avaient entrainé la motte avec elles ; quelques-uns avaient été brisés à quelque distance du sol ; mais tous également se montraient secs et roux, quelques-uns déjà dépourvus d’écorce : et leur hérissement faisait là comme une muraille, tandis que le sol raviné, où elle ne reposait que par place, laissait dessous comme des trous.

Mais Marie repartait déjà. Elle ne voyait qu’une chose qui