Page:Mercure de France - 1914-07-16, tome 110, n° 410.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’eau à une source qui sortait d’un rocher, à dix minutes de là ; c’était une très belle eau fraîche.

Quand elle revenait, sa mère avait fini de traire ; il y avait alors la chambre à balayer.

Elles n’avaient point tellement d’ouvrage qu’elles en fussent fatiguées, assez pourtant pour ne pas connaître l’ennui ; et quand elles avaient fini, assises devant le feu, elles causaient ensemble, buvant leur lait, mangeant leur pain, et il leur restait encore du lard, deux jambons, des saucisses ; les femmes se contentent de peu, Adèle n’avait pas grand appétit.

Ce qu’elles aimaient plus que tout, c’étaient justement ces causettes, ou tout simplement d’être ensemble, et se taire ensemble. La petite Marie s’asseyait tout près de sa mère, et puis, laissant aller sa tête, bientôt sa tête avait trouvé le creux doux qu’elle cherchait. Une main qu’on tend, une autre qui la serre ; elles se sentaient bien, parmi ce bon silence, où de minute en minute quelque petit oiseau égaré poussait un cri aigu comme une note de sifflet.

Parfois la petite Marie demandait des nouvelles de son père :

— Comme il reste loin longtemps !

— Prends patience, disait Adèle, il reviendra,

— Où est-ce qu’il a été ? demandait la petite.

Ici Adèle hésitait à répondre, car, qu’il dût revenir un jour, elle pouvait l’assurer sans mentir, parce que, vraiment, elle le croyait, mais, où il avait été, elle ne pouvait le dire ; pourtant il ne fallait pas que Marie se doutât de rien.

— Il a été dans un pays où on gagne beaucoup d’argent., parce qu’il nous trouvait trop pauvres.

Alors Marie secouait la tête :

— Moi j’aurais mieux aimé qu’il reste avec nous.

Puis, ayant réfléchi :

— Est-ce qu’on est plus heureux, quand on est riches ?

— Il y en a qui le prétendent.

— C’est donc qu’il fallait qu’on fût très riches déjà, parce qu’on était très heureux.

Il n’y avait rien à répondre ; Adèle ne répondait point. Ainsi était allé le temps, et elles avaient vu un jour la neige fondre. De l’endroit où elles étaient, on n’apercevait point le village ; elles n’avaient donc rien su de ce qui s’y passait. De