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une netteté particulière aux premières pages de Par delà le bien et le mal. « Il m’est apparu peu à peu, dit-il, que toute grande philosophie se réduisait jusqu’ici à une confession de son auteur comme en des mémoires involontaires et inaperçus, puis aussi que les vues morales (ou immorales), en toute philosophie, formaient le véritable germe d’où, chaque fois, la plante entière est éclose[1]. » Avec insistance il ajoute : « … chez le philosophe rien d’impersonnel ; en particulier, sa morale témoigne, d’une façon décisive, — de sa nature, c’est-à-dire, de l’ordre dans lequel sont placées les intimes tendances de son être. [2] » Ainsi les instincts fondamentaux de l’être sont pères de la philosophie. « Toute tendance est impérieuse : comme telle, elle aspire à philosopher. [3] » Au principe de toute philosophie, se trouve « une suggestion », un souhait de cœur, et Nietzsche dénonce le manque de droiture des philosophes qui ne s’avouent pas cela, qui tous se réclament d’une dialectique rigoureuse et des procédés du seul instinct de Connaissance pour ériger en vérités leurs préjugés. Puis il s’aperçoit que c’est là une ruse de l’instinct particulier qui les mène, un moyen, pour cet instinct, de conquérir la puissance et d’imposer son empire. Une grande importance a été attachée en effet parmi les hommes aux décrets de l’Instinct de Connaissance ; on les a distingués des pétitions de tous les autres instincts sous le nom de vérités. Chaque tendance particulière, dès qu’elle aspire à dominer, se propose donc tout d’abord d’asservir

  1. Par delà le Bien et le Mal. Ed. du Mercure de France, p. 8, traduction L. Weiscopf et G. Art.
  2. Par delà le Bien et le Mal, p. 9.
  3. Par delà le Bien et le Mal, p. 8.