Page:Mercure de France - 1900 - Tome 33.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distinguées, s’il vous répugne de manger des petits pois avec un couteau ou de ne pas prononcer correctement les mots, vous ferez aussi bien de laisser tout cela de côté, ça ne vous sera plus guère utile.

— Alors vous voulez dire que…

— Je veux dire que les hommes comme moi réussiront à vivre, pour la conservation de l’espèce. Je vous assure que je suis absolument décidé à vivre, et si je ne me trompe, vous serez bien forcé, vous aussi, de montrer ce que vous avez dans le ventre, avant qu’il soit longtemps. Nous ne serons pas tous exterminés, et je n’ai pas l’intention, non plus, de me laisser prendre pour être apprivoisé, nourri et engraissé comme un bœuf gras. Hein ! voyez-vous la joie d’être mangé par ces sales reptiles.

— Mais vous ne prétendez pas que…

— Mais si, mais si ! Je continue : mes plans sont faits, j’ai résolu la difficulté. L’humanité est battue. Nous ne savions rien, et nous avons tout à apprendre maintenant. Pendant ce temps, il faut vivre et rester indépendants, vous comprenez ? Voilà ce qu’il y aura à faire.

Je le regardais, étonné et profondément remué par ses paroles énergiques.

— Sapristi ! vous êtes un homme, vous ! m’écriai-je, en lui serrant vigoureusement la main.

— Eh bien, dit-il, les yeux brillants de fierté, est-ce pensé, cela, hein !

— Continuez, lui dis-je.

— Donc, ceux qui ont envie d’échapper à un tel sort doivent se préparer. Moi, je me prépare. Comprenez bien ceci : nous ne sommes pas tous faits pour être des bêtes sauvages, et c’est ce qui va arriver. C’est pour cela que je vous ai guetté.