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confondre la pensée avec l'expression de la pensée. Le cliché est immédiatement perceptible ; le lieu commun se dérobe très souvent sous une parure originale. Il n'y a pas beaucoup d'exemples, en aucune littérature, d'idées nouvelles exprimées en une forme nouvelle ; l'esprit le plus difficile doit se contenter le plus souvent de l'un ou de l'autre de ces plaisirs, trop heureux quand il n'est pas privé à la fois de tous les deux ; cela n'est pas très rare.

Le lieu commun est plus et moins qu'une banalité ; c'est une banalité, mais parfois inéluctable ; c'est une banalité, mais si universellement acceptée qu'elle prend alors le nom de vérité. La plupart des vérités qui courent le monde (les vérités sont très coureuses) peuvent être regardées comme des lieux communs, c'est-à-dire des associations d'idées communes à un grand nombre d'hommes et que presque aucun de ces hommes n'oserait briser de propos délibéré. L'homme, malgré sa tendance au mensonge, a un grand respect pour ce qu'il appelle la vérité ; c'est que la vérité est son bâton de voyage à travers la vie ; c'est que les lieux communs sont le pain de sa besace et le vin de sa gourde. Privés de la vérité des lieux communs, les hommes se trouveraient sans défense, sans appui et sans nourriture. Ils ont tellement besoin de vérités qu'ils adoptent les vérités nouvelles sans rejeter les anciennes ; le cerveau de l'homme civilisé est un musée de vérités contradictoires. Il n'en est pas troublé, parce qu'il est successif. Il rumine ses vérités les unes après les autres. Il pense comme il mange. Nous vomirions d'horreur si l'on nous présentait dans un large plat, mêlés à du bouillon, à du vin, à du café, les divers aliments depuis les viandes jusqu'aux fruits qui doivent former notre