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Straamand. — Et si vous m’épargnez, je sais sûrement quelqu’un qui ne me laisse pas échapper si facilement ; il profite de l’étreinte, lui, l’employé, — et c’est votre faute, et cela est fâcheux, que vous ayiez remué d’anciens enthousiasmes, et vous pouvez jurer qu’il ne se taira pas là-dessus, si je murmure un mot seulement contre la prétention qu’ils proclament en chœur. Les gens de gouvernement ont une grande puissance dans la presse en ce moment, me dit-on. Un misérable article peut tomber sur moi, s’il est imprimé dans le grand journal qui frappe avec les armes et la force de Samson, et se met à la traverse avec ses filets, surtout vers la fin des trimestres. —

Falk

(conciliant). — Oui — si votre saga appartenait

aux scandales — —

Straamand (découragé). — Quand même. Le journal est très répandu ; attention : je vais y être sacrifié sur l’autel de la vengeance.

Falk

(avec humour). — Du châtiment, voulez-vous

dire, — et bien mérité. Il est une Némésis qui traverse la vie ; elle frappe sûrement, bien qu’elle frappe tard,— lui échapper n’est donné à personne. Si quelqu’un a péché contre l’idée, alors vient la presse, sa gardienne vigilante, et l’on se ressent des suites.

Straamand. — Mais, mon Dieu, quand ai-je jamais passé contrat avec l’ « idée » dont vous me parlez là ! Je suis un homme marié, père de famille, — souvenez- vous que j’ai douze jeunes enfants ; — je suis attaché à ma besogne journalière, j’ai des églises annexes et une paroisse étendue, et mes ouailles, nombreux troupeau, — et il faut s’en occuper, les nourrir, les soigner, les tondre ; il faut engraisser la terre et battre en grange ; on me demande à l’étable et au parc ; quand ai-je le temps de vivre pour l’idée ?

Falk

. — Soit, alors rentrez chez vous le plus tôt

possible ; rentrez, ayant l’hiver, sous le toit de mottes. Voyez, la jeune Norvège est apparue, le hardi bataillon compte mille lutteurs, et le souffle du vent du matin déploie le drapeau.

Straamand. — Et, jeune homme, si je rentre chez moi avec tous les miens, oui, tous, eux qui étaient hier mon petit royaume, — est-ce que beaucoup de choses aujourd’hui n’ont pas été changées ? Croyez-vous que je rentre riche comme lorsque je suis venu — (Falk veut répondre.) Non, attendez, et écoutez ce que j’ai à dire (IL se rapproche.) Il fut un temps où j’étais jeune